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colères. Guillaume II, un jour, s’est donné la peine de bien exposer cette philosophie de l’histoire aux gens de Berlin, en prenant à témoin, non pas David et la Sibylle, mais Babel und Bibel, la Bible et Babylone, et en leur expliquant, de son cru, les surprenantes ressemblances de texte, de mots, de formules, que signalent les assyriologues entre les lois babyloniennes d’Hamourabi et la législation mosaïque de la Bible. Les assyriologues peuvent s’étonner de cette conformité littérale entre un code laïque de Babylone, antérieur de plusieurs siècles, et le code divin du Sinaï, — mais Guillaume II, non pas. Il sait, d’inspiration divine sans doute, comme il sait tant d’autres choses qu’il n’a jamais apprises, il sait de science personnelle, donc infaillible, que, longtemps avant Moïse, bien d’autres conducteurs de peuples, tels Abraham et Hamourabi, avaient reçu du ciel cette même inspiration, qu’après Moïse, d’autres conducteurs de peuples, parmi lesquels notre Luther et Shakspeare et Goethe et l’inoubliable Grand-Père, ont continué de recevoir.

Mais si le Grand-Père fut le messager et le protégé du Ciel, s’il fut envoyé par un décret de la Providence à la race germanique pour lui ramener l’empire, l’unité et la paix, est-il déraisonnable de croire qu’avec la couronne, le Petit-Fils a hérité cette protection, dont sa ferveur, au moins en public, continue de lui mériter les bienfaits ? En pays musulman, la bénédiction divine, la baraka, est un bénéfice de famille, une sorte de fief immatériel, mais très profitable, que le père transmet à sa race. En politique, comme en finances, Guillaume II sait marier la Croix et le Croissant : il a, un christianisme tout islamique ou judaïque. Mahomet croyait que Moïse et le Christ avaient été ses précurseurs ; Guillaume II estime ne pas être trop indigne de ces grands modèles, et même il faut remonter dans la tradition sémitique bien plus haut que Mahomet, Moïse ou Melchisédech, pour comprendre toutes les théories et tous les actes de celui que les Turcs naïfs appellent aujourd’hui Hadgi Mohamed Gilioun et que le Berlinois plus irrespectueux appelait hier, non pas toujours Seine Majestät, mais parfois Siegfried Mayer, et parfois même Shylock Mercator.

En matière de finances et d’arts, les vieux pays sémitiques et les temps antérieurs à Abraham ont eu sur l’Allemagne du