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du Nouveau : aussi, Rome ayant été le lieu du couronnement pour l’Ancien, ce fut Versailles qui servit de pavois à l’œuvre bismarckienne. Mais autant l’empire de Charlemagne avait différé tout aussitôt de l’empire des Augustes, autant l’empire de Bismarck apparut tout aussitôt dissemblable de l’empire des Napoléons.

L’enthousiasme et l’amour sont les sources les plus fécondes en grandes œuvres latines : la crainte et l’envie sont les fermens les plus ordinaires de toute entreprise germanique. Dans la vie de Luther, l’amour de Dieu tint moins de place que la terreur du diable. Dans la politique bismarckienne, l’amour de l’Allemagne pesa bien moins que la haine de la Révolution. Bismarck eut toujours, après comme avant le succès, moins de confiance dans la Nation, moins de foi dans la Liberté que de défiance et de garde perpétuelle contre l’Ennemi du dedans et du dehors. La Garde sur le Rhin fut à bon droit le chant de son empire qu’il ne croyait jamais assez bien gardé soit contre un revirement de l’Allemagne elle-même, une sécession des Princes ou du Peuple, soit contre les reprises de l’étranger, une revanche de Vienne et de Paris : libertés germaniques, hégémonie autrichienne, influence française, doubles et triples monstres que le géant avait enchaînés, mais qu’il savait bien n’avoir pas supprimés pour jamais ! La crainte d’une revanche étrangère domina sa diplomatie. La crainte d’un revirement allemand domina sa politique intérieure.

Grâce à l’indulgente amitié de Pétersbourg, à la partiale neutralité de Londres, à l’acquiescement et à la résignation de Vienne, puis à l’adhésion bruyante de Rome, sans parler du prestige de la victoire et des avantages de la force, Bismarck eut bientôt toute assurance contre le danger extérieur ; il put même un instant concevoir l’espérance que les aventures et les satisfactions coloniales amèneraient la France à une pareille résignation. Aussi la politique étrangère, loin de créer des embarras à son empire national-libéral, comme à l’empire libéral de Napoléon III, lui devint-elle un moyen commode de gouvernement. La crainte des complications et des risques lui, faisait sagement éviter tous les Mexiques où d’autres eussent aventuré les os du grenadier poméranien. En un temps où l’Europe entière était prise d’une frénésie d’expéditions asiatiques, africaines, océaniques, mondiales, Bismarck pouvait