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fourchette d’une arquebuse et en porta un coup violent à l’officier inspecteur en lui criant : « Tiens, va-t’en aussi porter cela au Roi ! »

L’affaire prenait une tournure grave et Massauve le comprit. Aussi, sans perdre un moment, il planta là l’inspecteur ahuri et ses soldats stupéfaits, et, piquant des deux, il réussit à franchir sans encombre la frontière, qui, heureusement pour lui, n’était pas loin. Sa précipitation, du reste, ne fut qu’un acte de prudence, car, déclaré peu après coupable de lèse-majesté, il fut exécuté en effigie, tandis qu’il gagnait Cologne où l’attendaient d’autres aventures.

Dans cette ville résidait en ce moment Charles IV, duc de Lorraine, lequel, depuis dix ans, luttait contre la France qui l’avait dépouillé de son duché héréditaire et le forçait à mener la vie errante d’un chef de bande. Ce prince, sorte de condottiere dont l’existence fut un véritable roman de cape et d’épée, ne pouvait manquer d’accueillir avec bienveillance un officier de fortune qui joignait à de sérieuses qualités militaires et à une connaissance assez complète de la France et de ses hommes en vue, une haine profonde pour ce pays où il lui était désormais impossible de rentrer. Sans scrupules, d’ailleurs, insolent, fourbe, spirituel, débauché, trahissant tout le monde sans vergogne, il devait sympathiser tout de suite avec un gentilhomme d’aventure dont les défauts et les qualités avaient tant d’analogie avec les siens.

Massauve devint donc en peu de temps le compagnon le plus intime et l’ami le plus fêté du duc de Lorraine ; celui-ci le nomma lieutenant-colonel du régiment d’infanterie de sa garde, emploi qui lui valait un traitement annuel de près de cinquante mille livres, et le présenta dans tous les hôtels de la noblesse qui vivait alors près de la cour de l’Electeur de Cologne.

Parmi ces familles, on remarquait celle d’Ernest-Jean-Louis, comte d’Isembourg, dernier rejeton mâle de la ligne de Grenzau de cette illustre maison, surintendant des finances des Pays-Bas, gouverneur de Luxembourg, général d’artillerie au service de l’Empereur et chevalier de la Toison d’Or. Ce noble personnage, veuf depuis peu d’Hélène-Charlotte, fille du prince Charles d’Arenberg, venait d’épouser (en 1636), en secondes noces et à cinquante-deux ans, Marie-Anne de