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nous ayons violé criminellement la neutralité de la Belgique. » Puis, toujours dans le même esprit, ils annoncent à la face du monde civilisé qu’il n’est pas vrai davantage que leurs soldats « aient porté atteinte à la vie ou aux biens d’un seul citoyen belge sans y avoir été forcé par la rude nécessité d’une légitime défense. » Voilà le grand mot lâché, celui qui, aux yeux de l’élite intellectuelle allemande, justifie comme autant de représailles permises les plus abominables cruautés : le cas de légitime défense. Cela excuse tout. « Nous pouvons nous on tenir pour la forme aux déclarations faites par le chancelier de l’Empire devant le Reichstag et selon lesquelles notre invasion en Belgique n’a été qu’une légitime défense de notre part, » affirme le chimiste Ostwald. Sous cet angle, les atrocités paraissent un devoir à la conscience germanique, non seulement parce qu’elles concourent à épargner des vies allemandes, les seules qui soient précieuses, mais parce qu’il convient de tuer le plus possible d’individus, militaires ou civils, femmes ou enfans, des peuples avec lesquels l’Allemagne est en guerre et qui ne peuvent appartenir qu’à des races très inférieures.

Tous ces motifs, cependant, ne rendent encore qu’insuffisamment compte du devoir que l’Allemagne estime lui incomber d’être implacable. Aussi bien, elle envisage les dévastations et les massacres comme un châtiment que, dans leur propre intérêt, l’Etat allemand se doit d’infliger aux individus et aux peuples qui méconnaissent sa mission. « Cette guerre est une tempête assainissante qui balaye le monde. Il s’agit d’amener aux hommes une plus grande abondance d’air du ciel, » vaticine Richard Dehmel, le plus grand poète contemporain de l’Allemagne. Cette guerre, que nos ennemis rendent délibérément atroce, est présentée comme une nouvelle croisade, et les cruautés comme le plus sûr moyen de convertir le monde, qui risquait de tomber en pourriture, à l’évangile de la force allemande. En l’espèce, il s’agit d’une lutte à mort de la barbarie savante contre la civilisation. N’est-ce pas, en effet, pour atteindre la France et la Belgique jusque dans leur âme que, avec l’assentiment de leur empereur, des généraux allemands ont ordonné la destruction de Louvain, la ruine d’Ypres, les bombardemens de Soissons.de Reims et d’Arras ? « Je hais cette religion que tu as embrassée, écrivait Guillaume II à la Landgrave de Hesse qui venait de se convertir au catholicisme. Tu