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retrouvé le sens de la véritable poésie. Aussi bien, Novalis nous annonce qu’elle travaille à l’avènement d’un nouvel âge d’or.

Cette idée de la supériorité de la race germanique est devenue, de nos jours, un dogme. Pour l’édifier, la science allemande n’a reculé devant rien.

Elle a, tout d’abord, utilisé un Français, le comte Arthur de Gobineau, lettré et misanthrope, qui croyait à l’inégalité foncière des races humaines et, dans cette inégalité, à la supériorité des Indo-germains sur les Gallo-romains. Il en donnait comme preuve que les premiers ont conquis les seconds. Le parti que les historiens allemands ont su tirer de cette thèse est prodigieux. Mais aussi, pour l’amplifier et la soutenir, ne se sont-ils pas fait faute de falsifier les événemens et d’en prendre à leur aise avec la vérité : la vérité est a priori tout ce qui peut servir la volonté de puissance du peuple allemand. « C’est le droit des vivans, affirme Freytag, d’interpréter tout le passe selon les besoins et les exigences de leur propre temps. » Aussi, l’histoire, l’ethnologie, la philologie et même la géographie rivalisent-elles d’efforts au service du germanisme. On nous prouve, pièces en mains, que tous les progrès dont a bénéficié l’humanité, au cours des siècles, sont dus aux Germains. Le sentiment de l’honneur, le respect de la femme, la fidélité à la parole donnée viendraient d’eux. N’est-ce pas le peuple germain qui a balayé la pourriture de l’empire romain en décomposition ? N’est-ce pas lui encore qui, mille ans plus tard, a purifié cette sentine d’iniquité qu’était devenue l’Église catholique ? N’est-ce pas lui, enfin, qui a châtié, en 1870, le Latin corrompu ? « Avant toutes les autres nations, prétend Meyer, l’un de leurs plus célèbres historiens, l’Allemagne s’empare avec zèle de toute tâche imposée par le temps à l’humanité. » La mauvaise foi des savans allemands ne néglige aucun détail, jusqu’à nier la valeur des textes de César et de Strabon par exemple, qui attribuent le pays messin à la Gaule. De même, parce qu’il pense trouver chez les Doriens une ébauche du génie allemand, Ottfried Muller leur prête un ensemble de vertus qui leur furent bien inconnues. D’un mot, il n’est pas de science en Allemagne qui ne tende à prouver, peu ou prou, la supériorité de la race germanique. « L’Allemagne a vu le plus haut développement de la vie artistique et scientifique qui ail eu lieu depuis les jours de l’Hellade et du Cinquecento, » déclare sans sourciller le prince de Bülow. De son