sentent capables de donner une forme au chaos, d’imposer leur loi à la vie indifférente. Un tel nihilisme constitue, à son avis, un tonique pour les forts, qui, au lieu de verser dans un stérile pessimisme, conquerront un état d’âme dionysiaque, triomphal et enivrant, gage de leurs succès futurs. Toutes les leçons que nous prodigue Zarathustra se résument en celle-ci : être fort. Il appartient au surhomme de prendre la place laissée vide par la mort de Dieu. « Le surhomme est la raison d’être de la terre, enseigne-t-il à ses disciples. Votre volonté doit dire : Que le surhomme soit la raison d’être de la terre. » C’est, de même, parce que, au rebours de la religion du Christ, le paganisme des antiques forêts de la Germanie faisait consister le souverain bien dans « la force du corps et toutes les qualités qui rendent l’homme redoutable, » que Mommsen, bien avant Nietzsche, s’en était institué l’ardent protagoniste. Zarathustra n’a fait, au fond, que pousser jusqu’à ses extrêmes limites cette conception païenne de la vie pour laquelle il semble, au dire de Nietzsche lui-même, que l’Allemagne ait fourni un terrain merveilleusement propice. « Les Allemands, — die Deutschen, — écrit-il, cela veut dire primitivement les païens ; c’est ainsi que les Goths, après leur conversion, désignèrent la grande masse de leurs frères qui n’étaient pas encore baptisés… Il serait encore possible que les Allemands se fissent, après coup, un honneur d’un nom qui était une antique injure en devenant le premier peuple non chrétien de l’Europe. »
Etre fort, voilà, en tout cas, le commandement primordial, celui d’où tous les autres dérivent. Devant la force rien ne compte. Elle vaut par elle-même et pour elle-même. Tout ce qui est susceptible de l’entraver est mauvais. Arrière donc la pitié ! Elle est une faiblesse et une sottise. « Si vous ne voulez pas être des destinées, des inexorables, comment pourriez-vous, un jour, vaincre avec moi ? Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d’empreindre votre main en des siècles, comme en de la cire molle, — béatitude d’écrire sur la volonté des millénaires comme sur de l’airain, — plus dur que de l’airain, plus noble que de l’airain. Le plus dur seul est le plus noble. O mes frères, je place au-dessus cette nouvelle table de la loi : Devenez durs. » Bien mieux, Nietzsche enseigne la nécessité de faire le mal, la volupté de détruire. À cette seule condition, le surhomme pourra