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tous les dangers parce qu’ils n’existent point pour lui dans la réalité, le philosophe de la nature sera terrible, en ce qu’il se met en communication avec les pouvoirs originels de la terre, qu’il conjure les forces cachées de la tradition, qu’il peut évoquer celles de tout le panthéisme germanique et qu’il éveille en lui cette ardeur de combat que nous trouvons chez les anciens Allemands et qui veut combattre, non pour détruire, ni même pour vaincre, mais seulement pour combattre. » Le panthéisme de Schelling aboutit, de fait, puisqu’il le charge d’exprimer l’Absolu, à la divinisation de l’instinct, que Schopenhauer considérait de son côté, sous le nom de vouloir-vivre, comme la cause de l’univers.

Enfin, survint Hegel qui conféra à l’instinct ses titres de raison. D’après lui, en effet, l’Absolu n’est plus transcendant, mais immanent à la réalité. Il n’est pas le principe commun de la nature et de l’esprit ; il est lui-même tour à tour nature et esprit, car il n’est pas immobile : il devient. Cette perpétuelle genèse, en fin de compte, c’est ce qui constitue l’Absolu. Mais ce mouvement ou ce progrès des choses et de la pensée, en quoi il consiste, demeure logique par essence, ce qui revient à dire qu’il y a, pour Hegel, identité entre la pensée et la réalité. Il s’ensuit que tout ce qui est rationnel est réel et que tout ce qui est réel est rationnel ou, plus exactement, que tout ce qui devient est raison. Il suffit donc qu’une chose se réalise, qu’un acte s’accomplisse pour qu’ils soient aussitôt jugés conformes à cette raison, qui, identique à Dieu, prend dans l’homme une conscience progressive d’elle-même. Le succès apparaît, dès lors, comme l’unique mesure de la valeur, à la fois logique et morale, de nos actes. En d’autres termes, le fait constitue le droit pour cette péremptoire raison que les deux se confondent.

On comprend que, dans de telles conditions, la métaphysique de Hegel ait pu donner naissance au matérialisme. Elle n’y a pas manqué et, par suite, elle a augmenté la confiance que, depuis Schelling, ses concitoyens avaient dans l’instinct. Ce matérialisme ne contribua pas médiocrement à borner l’horizon humain à la satisfaction des plus grossiers appétits, qu’il auréola, selon la coutume germanique, — ainsi que la matière même d’où il les fait surgir, — d’une sorte de nimbe mystique bien propre à en augmenter l’attrait. « La matière est éternelle, elle est l’absolu de la nature. » écrit Steffens. Et le