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l’influence française qui s’exerça pendant un siècle et demi en Allemagne n’avait pas été sans exalter les côtés généreux de son âme. Il faut faire une grande part, en effet, à la France dans cette opinion, qui animait un Goethe à l’aurore du siècle dernier, que la plus haute mission d’un peuple sur terre est de travailler à l’œuvre commune de la civilisation.

Mais, à côté de ces penchans idéalistes qui inclinent vers le rêve le caractère allemand, il s’en est toujours rencontré, plus ou moins à découvert suivant les époques, d’aussi avancés dans la brutalité que les premiers dans la pure contemplation. Dans son livre sur les Mœurs des Germains, Tacite signale leurs rixes fréquentes, leurs querelles pour des riens, ce que l’on devait appeler plus tard des « querelles d’Allemands. » César nous les montre uniquement occupés à la chasse et à la guerre, appliqués, dès leur plus tendre enfance, à s’endurcir physiquement. Ils détestent la paix, méprisent les arts et délaissent l’agriculture dans la crainte que les travaux champêtres ne leur fassent négliger les armes. « Pourquoi vous baltez-vous sans cesse ? » demandait l’empereur Julien au chef d’une tribu germanique du Rhin. « C’est que la guerre est la suprême félicité de la vie, » lui fut-il répondu. De fait, les Germains étaient perpétuellement en lutte : la société n’existait, chez eux, que sous la forme rudimentaire d’un camp en permanence. « C’est pour ces peuples, note Jules César, le plus beau titre de gloire de n’être environnés que de vastes déserts. Ils regardent comme une marque éclatante de valeur de chasser au loin leurs voisins et ne permettent à personne de s’établir auprès d’eux. » Le brigandage, aussi, ne leur semblait pas honteux, pourvu qu’il eût lieu en dehors des limites du territoire. A leurs yeux, raconte Tacite, « c’est paresse et inertie que d’acquérir par la sueur ce qu’on peut conquérir par le sang. » Il n’était pas jusqu’aux femmes qui ne fussent belliqueuses : il leur arrivait souvent d’intervenir, au milieu de la bataille, pour ranimer de leurs exhortations, de leurs prières et de leurs cris, le zèle des combattans. Il n’en va pas autrement, au Moyen Age. Des deux figures de femmes qui, dans le poème des Nibelungen, retiennent l’attention, la reine Brunhild saute, court, lance le javelot, soulève des quartiers de rocs, tandis que Krumhild, femme de Sigurd, s’assigne pour mission de venger le meurtre de son époux à travers une série interminable