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de l’Université de Paris, Jean Sturm, un des plus nobles et plus larges esprits du xvie siècle, — tant par cela, que par le passage ou le séjour de savans français. Les jurisconsultes Hotman, François Baudoin, Philippe de la Garde, l’historien Denis Godefroy l’ancien y professent, — celui-ci pendant près de quinze ans ; — Charles Dumoulin en 1553, Ramus en 1568 y sont reçus avec un singulier empressement. L’accueil fait à Ramus surtout est significatif. « À son entrée dans la ville, lui et ses compagnons rencontrèrent une noce fort nombreuse, qui aussitôt les entoura et leur fit cortège. Ramus, dont le nom était acclamé par cette foule, fut complimenté et harangué comme s’il eût été quelque prince faisant son entrée solennelle[1]. » Diplomates et hommes politiques ne cessent d’arriver, et, dès les troubles religieux en France, les réfugiés affluent et se fixent à demeure. Ils appartiennent aux plus grandes familles du royaume, — c’est un duc de Bouillon, ce sont les Condé, les Coligny, — ils appartiennent à la noblesse, à la bourgeoisie, aux professions libérales et aux métiers. Les uns apportent des fortunes importantes, les autres des connaissances, une tournure d’esprit, des arts nouveaux. À côté de Mgr de Bar on voit s’installer un baron d’Haussonville, le célèbre médecin de François Ier, Gonthier d’Andernach, les fils de Guillaume Budé, Jean Brossel, recteur de l’Université de Châtillon, et une foule d’ « honnêtes, pieuses et bonnes gens, » comme les qualifie le stettmeister Jacques Sturm, finit par se presser dans Strasbourg, — l’hôtellerie de la justice. En une seule année, en 1575, on constate la venue de 15 398 Français, si bien que, dix ans plus tard, un chroniqueur strasbourgeois alla jusqu’à dire (il exagérait) que l’élément welsch formait le tiers de la population strasbourgeoise.

Les Français étaient en tout cas si nombreux que le magistrat limita à deux cents le chiffre des admissions à la bourgeoisie, afin que Strasbourg ne cessât pas d’être une ville allemande (damit man eyn teutsch Stadt behielte) (1566), et que, dès 1555, une coterie d’immigrés allemands, en tête desquels se plaça le Souabe Marbach, mena une fougueuse et astucieuse campagne d’intolérance contre l’église française qui avait été ouverte par Calvin lui-même en 1538. On craignit même qu’à raison de leur nombre les Français ne livrassent la ville. Ils

  1. Ch. Waddington, Ramus, Paris, 1855, p, 191.