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débrouillards, polyglottes et courageux. Ils suivaient à leurs risques et périls les troupes en campagne ; ils allaient partout et ils voyaient tout, prêts aux pires ruses et aux audaces les plus folles pour avoir la primeur d’une nouvelle, un cliché inédit, les élémens d’un récit sensationnel. L’Alcide Jollivet de Michel Strogoff était le type populaire de ces chroniqueurs nomades, pour qui les dangers et les obstacles n’existent pas.

Mais à mesure qu’augmentaient les effectifs engagés, l’importance des objectifs, l’acharnement des querelles où se jouait l’existence même des nations, le rôle des correspondans de guerre diminuait d’ampleur. Les commandans des forces adverses redoutaient ces témoins indiscrets et bavards qui éventaient les plans, discutaient les tactiques, pronostiquaient les résultats, évaluaient au juste prix les triomphes ou dévoilaient les déceptions. Le séjour sur le théâtre de la guerre fut rendu difficile à ces irréguliers. Chambres par les états-majors, maintenus en arrière des zones intéressantes, expulsés sans aménité à la moindre incartade, ils durent se soumettre aux consignes sévères que le souci du secret des opérations leur imposait. Ils en furent peu à peu réduits à tirer plusieurs moutures des renseignemens dont le sens variait selon le côté de la barricade ou le bout de la lorgnette, et qui leur étaient communiqués par le bureau de la Presse des grands quartiers généraux. Le plus souvent, des clichés maquillés, des croquis faits de chic étoffaient leurs variations sur des thèmes dont l’adresse, ou la chance, ou le flair individuels pouvaient seuls, en de rares occasions, atténuer l’aridité. Ainsi, les qualités simplement techniques des spécialistes militaires devinrent moins utiles que celles du reporter imaginatif, dessinateur habile ou photographe ingénieux.

La guerre sud-africaine inaugura ce nouveau régime que la guerre de Mandchourie portait à sa perfection, au moins du côté des Japonais. A part quelques-uns, les correspondans de presse n’étaient plus déjà que des hérauts d’armes postés hors des barrières du champ clos ; tournés vers la cantonade, ils annonçaient les coups d’après les seules indications des adversaires qui se déclaraient chacun juge du camp. Le système parut si avantageux que tous les belligérans, désormais, l’appliquèrent pour leur propre compte. Malgré l’importance mondiale de la Macédoine et de la Thrace, les innombrables journalistes qui