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sion continue ; nous exprimons le souhait que, sous l’empire d’une préoccupation exclusive, on ne désarme pas la défense nationale. Nous ne sommes heureusement pas les seuls à le demander. La lumière qui a frappé M. Lloyd George en Angleterre en frappe aujourd’hui beaucoup d’autres en France. On demande à grands cris des canons et des munitions, — et les moyens de les faire.

M. Lloyd George a parlé d’autres questions dans son discours de Manchester, notamment de celle du service obligatoire. C’est encore là une grande nouveauté, car jusqu’à ce jour le principe du volontariat était regardé en Angleterre comme un dogme intangible. Il ne l’est plus aujourd’hui. Les engagemens volontaires ont été nombreux, mais la conscription aurait produit davantage et, là aussi, nous sommes dans un domaine où la qualité ne suffit pas, il faut la quantité. M. Lloyd George, qui ne l’ignore pas, présente toutefois une observation dont on ne saurait contester la justesse, c’est qu’il est inutile d’avoir plus d’hommes qu’on ne peut en armer ; or l’Angleterre ne peut pas, en ce moment, en armer plus qu’elle ne le fait. Et nous voilà revenus à la question des munitions : c’est par elle qu’il faut commencer. S’il suffisait d’avoir des hommes, la Russie aurait des armées innombrables et invincibles ; mais il faut des armes, des canons, des fusils, des obus et, dans un autre ordre d’idées, des cadres, c’est-à-dire des officiers et des sous-officiers. C’est là ; que l’improvisation cesse et que la préparation devient indispensable. Il faut longtemps pour qu’elle soit parfaite : les Allemands ont mis quarante-quatre ans à perfectionner la leur.

M. Lloyd George a dit sans ambages que les Russes avaient éprouvé un échec : en effet, après s’être, il y a un mois, emparés de Przemysl, ils ont laissé la place retomber entre les mains de l’ennemi. Au moment de la première chute de Przemysl, les Autrichiens et les Allemands affectaient de dire que le fait n’avait pas grande importance : aujourd’hui, les Russes et leurs alliés, dont nous sommes, atténuent à leur tour la gravité du second événement. C’est le jeu des choses humaines. À parler franchement, la perte de Przemysl par les Russes est très regrettable ; mais elle l’est encore plus moralement que matériellement. Après un premier siège d’où elle était sortie démantelée, la place n’était pas défendable et ne pouvait pas non plus servir de point d’appui à une armée. On ne saurait dès lors établir aucune comparaison entre la première chute de Przemysl, obligée de capituler avec une armée de 130 000 hommes et un nombreux matériel de guerre, et le fait que les Russes ont abandonné la ville dans