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proprement dite, il la gérait supérieurement. Elle a été attribuée à M. Mackenna, qui était ministre de l’Intérieur et M. Lloyd George a été, comme nous l’avons dit, chargé des munitions de guerre. Ce n’est nullement une diminution morale de lord Kitchener ; on lui rend justice ; on ne comprendrait pas que la Guerre fût en ce moment entre d’autres mains que les siennes ; il a improvisé des armées, autant du moins que des armées peuvent être improvisées. Mais les munitions ont pris une telle importance depuis dix mois qu’il a paru nécessaire de leur consacrer un ministère spécial et de mettre à sa tête l’homme le plus actif de l’Angleterre : ajoutons l’homme le plus heureux, car jusqu’à ce jour tout lui a réussi. Avec l’Allemagne la guerre s’est transformée. Autrefois on faisait la guerre de manœuvres, qui exigeait du génie : l’Allemagne fait aujourd’hui la guerre de masses qui n’en exige pas et qui, dès lors, lui convient mieux. Ce ne sont pas seulement les hommes qu’elle meut en masses profondes ; elle jette aussi les obus avec une prodigalité sans exemple dans le passé. Dès lors, les Alliés ne peuvent pas rester inférieurs à leurs ennemis : ils doivent faire autant d’obus qu’eux et les dépenser sans compter davantage. Il faut pour cela mobiliser toute l’industrie d’un pays et l’affecter provisoirement aux besoins de la guerre. Nous l’avons fait en partie chez nous ; les Anglais se préparent à le faire chez eux. Nous avons sur un point, qu’il nous soit permis de le dire, une supériorité sur eux : l’esprit de notre personnel ouvrier est excellent ; celui-ci du personnel ouvrier anglais l’est moins. Croirait-on qu’à un moment comme celui-ci, des menaces de grèves se sont produites en Angleterre ? Le danger en est sans doute écarté, mais le ministre des Munitions devra user de tout son ascendant sur les ouvriers pour l’empêcher de renaître. Par bonheur cet ascendant est grand. M. Lloyd George a toujours été dévoué à la classe ouvrière, et nul n’est mieux à même que lui de se faire entendre d’elle. À peine nommé, il s’est rendu à la réunion des représentans des syndicats ouvriers et du personnel des usines métallurgiques de Manchester, et le langage qu’il y a tenu est trop caractéristique pour que nous n’en citions pas le passage principal.

« Nos alliés Russes, a dit sans périphrases inutiles le ministre des Munitions, viennent d’éprouver un échec. Pourquoi ? Parce que l’Allemagne avait une artillerie plus forte et une supériorité écrasante en ce qui concerne les obus. Cette supériorité est due à une meilleure organisation des usines allemandes. Deux cent mille obus ont été jetés sur les Russes en l’espace de deux heures. Si nous avions pu em-