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journaux avaient entamé une campagne ouverte contre le ministère. Les ministres de la défense nationale, c’est-à-dire de la Guerre et de la Marine étaient particulièrement visés ; quelquefois ils étaient atteints. On ne rendait pas toute la justice qu’il mérite à l’immense effort de lord Kitchener. On oubliait les services antérieurs rendus par M. Winston Churchill pour relever avec acrimonie les fautes qu’il a pu commettre plus récemment. Le ministère sentait qu’à la longue son autorité serait diminuée, et cela au moment même où on aurait le plus grand besoin qu’elle demeurât intacte et se montrât efficace. Aussi est-ce lui qui a pris l’initiative de tendre la main à ses adversaires d’hier et de demain pour en faire ses collaborateurs d’aujourd’hui. Des négociations ont eu lieu : les conservateurs ont demandé huit portefeuilles, ils leur ont été concédés. Ce chiffre ne représente d’ailleurs pas la même proportion qu’il représenterait chez nous où nous avons une douzaine de ministres, tandis que les Anglais en ont le double. La présidence du Conseil est restée, bien entendu, à M. Asquith, mais les conservateurs ont obtenu quelques ministères importans. Le chef du parti, M. Bonar Law, est devenu ministre des Colonies et M. Balfour ministre de la Marine. M. Austen Chamberlain a été nommé secrétaire pour l’Inde et sir Ed. Carson attorney général : il était hier à la tête de l’insurrection de l’Ulster, en Irlande. Lord Lansdowne est ministre sans portefeuille. On sait avec quelle autorité il a dirigé autrefois les Affaires étrangères : c’est lui qui a présidé aux négociations d’où est sortie l’entente cordiale. On ne pouvait pas le rappeler au Foreign Office, où la place est occupée par sir Edward Grey à la satisfaction générale ; mais la santé de sir Edward laisse à désirer en ce moment, sa vue est altérée, on craint qu’il n’ait besoin de repos : dans ce cas, la grande compétence de lord Lansdowne serait sans doute utilisée. Sa présence dans le Cabinet est une garantie pour la politique générale, qui sera certainement maintenue dans les mêmes voies que par le passé.

Mais l’innovation la plus importante est la création d’un ministère des Munitions, qui a été attribué à M. Lloyd George. Les temps sont changés. M. Lloyd George n’est plus chancelier de l’Échiquier et ceux mêmes qui, il n’y a que quelques mois, combattaient ses projets financiers avec le plus de vigueur, l’ont vu partir avec regret. Les banquiers de la Cité ont fait une démarche auprès de M. Asquith, pour qu’il leur laissât M. Lloyd George. Ce paradoxe s’explique d’ailleurs aisément ; ce n’est pas l’heure des réformes fiscales, et M. Lloyd George ne songe pas à en faire ; quant à la Trésorerie