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par exemple, à la destruction des trésors artistiques de la cathédrale de Reims.

Mais il n’en reste pas moins que l’aveu manifeste de cette indulgence nous empêche de nous intéresser aussi librement que nous le souhaiterions aux derniers chapitres de l’ouvrage, d’ailleurs très vivant et très instructif, du correspondant de guerre américain. Tout au plus sommes-nous tentés de regretter, avec M. Granville Fortescue lui-même, que les nécessités de la stratégie nouvelle ne lui aient point permis l’approche de ce « front » dont la vue paraît bien avoir été, de tout temps, l’objet suprême de ses désirs, et qui n’aurait pas manqué de nous valoir, sous sa plume, maintes descriptions d’un relief admirable. Car s’il n’y a pas jusqu’aux derniers chapitres de son livre qui, par-dessous le grave inconvénient que j’ai dit, n’abondent en menus traits où se manifeste une très précieuse autorité professionnelle, on ne saurait croire à quel point cette autorité s’affirme et se déploie dans les pages initiales du volume, consacrées par M. Fortescue au récit des seules opérations militaires dont il lui ait été donné d’être témoin. Jamais, en particulier, l’héroïque défense des forts de Liège ne nous a encore été racontée avec un tel mélange de précision stratégique et de réalité pittoresque. Pendant la nuit du 5 août 1914, M. Fortescue s’était bravement avancé jusqu’au sommet d’une colline, sur le bord de la Meuse, d’où il pouvait apercevoir l’un des efforts principaux de l’agression allemande.


À l’Est, se dressait le fort de Fléron. Ses étranges contours, avec les tourelles surmontant les remparts, lui donnaient l’apparence d’un Dreadnought monstrueux échoué là sur les hauteurs ; et sa ressemblance avec un navire de guerre se trouvait encore renforcée par les projecteurs lumineux qui ne cessaient point de balayer le sol, en avant du fort, comme si ce sol eût été une mer couverte d’ennemis. À tout moment, les ombres s’illuminaient d’éclairs, qui me racontaient l’histoire de la résistance désespérée des Belges. Au-dessus du fort, d’énormes obus d’un blanc verdâtre éclataient comme d’innombrables fusées d’un feu d’artifice ; et toujours les canons des tourelles répondaient, crachant des jets de lumière qui mordaient les ténèbres.

Pendant que j’observais le spectacle lointain du fort de Fléron, le choc soudain d’une fusillade éclata, presque sous mes pieds. On venait de découvrir une armée allemande qui arrivait par les bois, à l’Ouest de l’Ourthe. Déjà, les uhlans étaient pris dans les fils barbelés qui leur fermaient la marche. Je pouvais distinguer, avec ma lorgnette, des figures spectrales de cavaliers s’agitant parmi les arbres. De minute en minute, la force de la fusillade augmentait. Tout à coup, par-dessus elle, j’entendis le long gémissement d’un obus qui traversait l’air. Je me retournai, et vis