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le système moderne des tranchées, — lui a-t-il dit, — c’est à peine si les deux armées opposées parviennent à se voir, car toutes deux sont cachées dans le sol, et avec un danger réel pour ceux de leurs hommes qui voudraient se trop approcher de la tranchée adverse. D’une manière générale, d’ailleurs, j’ai observé que la distance entre les forces combattantes s’est toujours accrue en proportion du développement des armes à feu. Je suis, en outre, d’avis que celui des belligérans qui possède la meilleure artillerie possède aussi les meilleures chances de victoire. Cependant le nombre, dans une guerre, compte également pour beaucoup. »

En Belgique, où l’amène ensuite le programme imposé d’avance à son « témoignage, » M. Hun Svedend serait tenté un moment de déplorer la vue de centaines de villes et villages anéantis. Mais ses guides ont vite fait de le persuader que, « en dépit des mensonges anglais, la très grande majorité de ces dévastations ont eu pour auteurs les habitans eux-mêmes. » De plus, aucun des dommages causés n’est irréparable. Seule, la bibliothèque de l’université de Louvain a péri sans retour : et un spirituel officier allemand, qui accompagne l’explorateur, lui fait observer bien justement que, « de nouveaux livres, cela n’est pas difficile à écrire. »

Mais parmi les aventures de toute sorte rencontrées par M. Hun Svedend pendant sa « visite aux armées allemandes du front occidental, » aucune ne paraît l’avoir remué aussi profondément que son séjour, plus ou moins forcé, à bord de l’un des sous-marins de l’amiral Tirpitz. Un jour que déjà l’explorateur Scandinave, le cœur et le cerveau suffisamment gonflés d’admiration, se préparait à rejoindre Stockholm, afin d’y rédiger plus à loisir son « impartial témoignage, » un hasard l’a remis en présence du glorieux chef suprême de la marine allemande ; et celui-ci lui a fait savoir que, par un privilège singulier « qui jamais encore n’avait été accordé à un civil, » le Kaiser et lui-même daignaient l’autoriser à prendre sa part de la prochaine expédition de leur plus intrépide sous-marin. M. Hun Svedend, que la perspective de cette expédition ne laissait pas d’effrayer, s’est hâté de répondre qu’il s’estimait indigne d’un honneur qui, en bonne justice, devait d’abord revenir à un journaliste allemand. Mais l’amiral Tirpitz n’a rien voulu entendre.

— Rengainez votre fausse modestie, mein lieber Hun Svedend (mon cher Hun Svedend) ! — s’est-il écrié avec sa franche et joviale familiarité habituelle. — Au reste, nous vous regardons tous comme un Allemand ! Allons, prenez vite ce permis, et débarrassez-moi le plancher !