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que tout cela doit avoir été saisi sur le vif, — ou du moins « interprété » d’après ces épreuves photographiques dont M. Hun Svedend (de même qu’avant lui M. Sven Hedin) ne cesse pas de nous redire avec orgueil qu’on a bien voulu lui permettre de les prendre à chacune des étapes de son « exploration » du « front occidental. » Et quant au texte qui nous est présenté par M. E. V. Lucas, les quelques citations que l’on en va lire auront pareillement de quoi, je l’espère, rendre désormais indubitable au lecteur français l’existence bien authentique de M. Hun Svedend, tout en nous renseignant à souhait, du même coup, sur le caractère et la portée des observations « germanophiles » de son fameux compatriote, devancier, et modèle.


M. Hun Svedend nous raconte d’abord comment, un soir qu’il dînait à Stockholm en compagnie de ses vieux amis Herr Wurzel et Herr Doktor Mangold, il a reçu un message de son « auguste et invincible ami » l’empereur Guillaume, lui enjoignant de se rendre sur le « front occidental » de sa glorieuse armée, afin d’y recueillir les élémens d’un « témoignage absolument impartial » qui, sous la signature d’un « neutre, » aurait chance de révéler plus efficacement au monde la beauté stratégique et morale des méthodes de guerre allemandes. Voici donc notre voyageur en route vers Berlin, où l’attendent des instructions plus détaillées touchant le contenu et la forme de ce « témoignage impartial » dont on a daigné le charger !


Par les vitres de mon wagon, des deux côtés, j’aperçois la terre allemande. Quelle émotion exaltante, de se sentir environné par l’Allemagne à l’Est comme à l’Ouest ! Aussi bien les officiers qui remplissent mon compartiment, — et qui certes ne savent point le personnage considérable que je suis, sans quoi ils ne mettraient pas autant de liberté à m’écraser continuellement les doigts de pieds, — sont-ils déjà la crème parfaite de la chevalerie allemande. Leur conversation n’a point d’autres sujets que la guerre et l’impudence scandaleuse des Alliés. De temps à autre, seulement, l’un d’eux se lève pour précipiter au dehors, par la fenêtre, — avec une promptitude et une dextérité incroyables, — quelque voyageur civil un peu trop familier : mais, à cela près, ils ne s’occupent aucunement de ce qui les entoure. La guerre les absorbe tout entiers. Avec un pareil état d’esprit chez les chefs, qui donc pourrait douter du triomphe final de l’Allemagne ?

Le train s’arrête périodiquement à des stations, avec l’admirable régularité allemande. Des passagers montent ou descendent, suivant le cas, mais toujours en me révélant, dans tous leurs mouvemens, une égale sûreté méthodique et précise. Je ne vois personne tomber sous les roues. Tout cela est vraiment merveilleux.