Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heine, le premier poète lyrique de l’Allemagne au XIXe siècle, ce Prussien libéré comme il s’appelait lui-même, qui, dès 1835, flagella si vertement ses compatriotes en mainte occasion. Voici comme il définit le patriotisme allemand et le patriotisme français :

« … En France, le courage est civilisé et poli, et la loyauté porte des gants et vous tire le chapeau. En France, le patriotisme consiste dans l’amour pour le pays natal, parce qu’il est en même temps la patrie de la civilisation et du progrès de l’humanité… Le patriotisme du Français consiste en ce que son cœur s’échauffe, qu’il s’étend, qu’il s’élargit, qu’il enferme dans son amour non seulement ses plus proches, mais toute la France, tout le pays de la civilisation. Le patriotisme de l’Allemand, au contraire, consiste en ce que son cœur se rétrécit, qu’il se rapproche comme le cuir par la gelée, qu’il cesse d’être un citoyen du monde, un Européen, pour n’être plus qu’un étroit Allemand. Il consiste dans la haine contre la France, dans la haine contre la civilisation et le libéralisme. » N’est-il pas piquant de constater aussi que ce Nietzsche, qui fut si longtemps le philosophe préféré des étudians teutons, a écrit ces lignes, sévères pour son pays, flatteuses pour le nôtre ? « Je ne crois qu’à la culture française, et tiens que tout ce qui, en dehors d’elle, se décore en Europe du nom de culture commet une méprise. De la culture allemande, inutile de parler… Si loin que s’étend l’Allemagne, elle étouffe la culture… Aujourd’hui encore (1888), la France est le siège de la culture la plus intellectuelle et la plus raffinée d’Europe, et comme la cour suprême du goût… Les Allemands manquent de doigté pour nous lire (Schopenhauer, Heine, moi) ; du reste, ils n’ont pas de doigts, mais seulement des pattes… »

Rameau détaché de l’empire romain, héritier de ses qualités, de ses défauts, de beaucoup de ses institutions politiques et administratives, l’empire byzantin ne mérite pas la condamnation sommaire prononcée par Montesquieu et tant d’autres écrivains. De nos jours, des historiens avertis, Henry Houssaye, Rambaud, MM. Schlumberger, Charles Diehl, etc., ont remis les choses au point. Avant de condamner Byzance, il faudrait se remémorer la Rome des Césars, tant de règnes de sang et de boue, selon le mot de Suétone, les rois barbares despotes, parjures, débauchés et assassins, les chefs valant moins encore