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idées préconçues et fera tomber bien des œillères. En écrivant des pages si pleines de vérités, l’auteur a rendu à ses compatriotes un éminent service et donné une preuve de courage civique dont il y a lieu de le féliciter hautement.

Rien n’est prestigieux comme la gloire militaire, et rien ne s’impose tant à l’imitation que la supériorité acquise sur les champs de bataille. Coup sur coup, en 1866 et en 1870, l’armée prussienne triompha des armées autrichienne et française et reconquit la suprématie qu’elle possédait sous Frédéric et qu’elle avait perdue à Valmy. De telles victoires firent de l’armée prussienne, devenue celle du nouvel empire allemand, l’armée modèle que chacun s’empressa de copier, les vaincus comme les autres. A notre exemple, l’Espagne se mit donc à l’école de l’Allemagne, comme elle se mit aussi plus tard à l’école du Japon, en abaissant la taille de ses conscrits, quand la guerre de Mandchourie eut appris au monde étonné ce que l’on peut faire avec de très petits soldats. A quels résultats tangibles la germanisation de l’armée espagnole a-t-elle abouti ? La récente occupation d’une partie du Maroc par d’importantes forces péninsulaires n’a pas permis de s’en rendre un compte exact : seule une guerre européenne montrerait ce que le corps des officiers espagnols doit au dressage à la prussienne, en fait d’art militaire exclusivement, car, pour le reste, il ne saurait être question d’aucune infiltration d’idées allemandes.

Le principe de la « nation armée » n’existant en Espagne que sur le papier, l’éducation militaire, conçue à la façon de von der Goltz et autres, n’y est pas encore applicable. On se demande même s’il se trouvera bientôt un parti politique pour inscrire sur son programme le fonctionnement régulier du service militaire universel : pour l’instant, non seulement tous les chefs de parti, mais les classes dirigeantes y sont opposés. Aussi quand on dit, — et on le dit souvent, — que l’armée espagnole affecte des sentimens allemands, cela ne signifie pas du tout qu’elle soit imprégnée de science ou de méthode militaire allemande ; cela signifie que beaucoup d’officiers supérieurs et subalternes admirent le militarisme prussien, c’est-à-dire le rôle prépondérant joué par la caste militaire en Allemagne. Mais ces officiers ont-ils réfléchi à ce qui les sépare du régime féodal prussien ? Qui trouverait-on dans l’armée espagnole d’aujourd’hui, complètement démocratisée