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à coup d’une fureur divine, étrangère à la haine et à la colère, s’avance sur le champ de bataille sans savoir ce qu’il veut, ni même ce qu’il fait… Ainsi s’accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu’à l’homme, la grande loi de la destruction des êtres vivans. »

N’en déplaise à Machiavel et à J. de Maistre, cette doctrine quelque peu barbare aurait besoin de nombreux correctifs. N’a-t-elle pas causé plus d’une fois des catastrophes à ses sectateurs rigoristes, et, malgré tant d’égaremens, les nations modernes ne s’acheminent-elles pas lentement, très lentement, vers un idéal supérieur de justice et de civilisation ? L’opinion publique universelle n’a-t-elle pas fait réaliser quelques progrès au droit des gens ? Et si la force a ses douloureux entraînemens, si toute patrie considérable n’a pu se former que par les alluvions de la conquête, quelques-unes du moins, — la nôtre est de ce nombre, — ont su garder la mesure, protester par d’ardentes sympathies, même par les armes, en faveur des patries opprimées. Les sceptiques disent volontiers que l’heure de la réparation ne sonne jamais pour les peuples : c’est qu’ils ne regardent pas assez longtemps. Certes l’idée de patrie se concentre naturellement dans un idéal d’ambition et d’orgueil, d’où procèdent à leur tour des prétentions, tantôt légitimes et tantôt injustes. Et il semble presque impossible de contenir le patriotisme d’un peuple dans les limites de la défensive, de l’empêcher de passer à l’offensive, quand il se sent menacé, encerclé par d’autres peuples qui l’ont diminué dans son territoire ou dans son prestige. Une nation n’est pas seulement un vaisseau mystique qui a ses ancres dans le ciel ; elle est toujours une création militaire, établie, développée, soutenue par l’épée ; ses hommes d’État ne sauraient trop méditer la leçon de politique conquérante, que le comte d’Aranda, qui au XVIIIe siècle fut premier ministre en Espagne et ambassadeur à Paris, formulait spirituellement pour le comte Louis de Ségur : « Regardez cette carte ; vous y trouvez tous les États européens, grands et petits, quelles que soient leur étendue, leurs dimensions. Examinez bien : vous verrez qu’aucun de ces pays ne vous présente une enceinte bien régulière, un carré complet, un parallélogramme exact, un cercle parfait. On y remarque toujours quelques saillies, quelques renfoncemens, quelques brèches, quelques échancrures. Vous sentez bien à présent que toutes ces Puissances veulent