Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

germanique. Donc il n’est point aujourd’hui de groupe d’artillerie et généralement même de batterie qui n’ait son observatoire d’où l’on règle, observe et dirige les coups. La consigne y est la même que dans les temples à coupoles où naguère nous disions la messe aux étoiles : « Faire des observations ou en recevoir. » D’autre part, les télescopes sont-ils autre chose que des canons idéalisés ? Aussi la transition a été toute naturelle et le voyage très rapide qui nous fit descendre soudain de Sirius sur ce coin de bonne terre franque face aux Teutons. C’est que Sirius était vraiment un balcon si commode pour la contemplation du kaléidoscope terrestre que nous ne pouvions pas, sous peine de dégringoler avec lui, laisser de lourdes mains barbares saper par le bas la douce maison où s’accrochait le balcon délicieux. Voilà pourquoi de si bon cœur nous sommes là.

Le poste d’observation lui-même est ici une minuscule clairière, qu’un rideau de broussaille, à travers lequel on voit tout l’horizon, masque de la vue de l’ennemi. Des lunettes et des télémètres juchés sur leurs trépieds de bois y allongent leurs cols métalliques. Les télémètres, rappelons-le, sont d’ingénieux appareils d’optique qui permettent d’apprécier approximativement la distance d’un point donné de l’horizon. C’est avec eux qu’on sait dès l’abord quelle est approximativement la distance de l’objectif, c’est-à-dire la hausse qu’il faut donner au canon. Cela fait, il ne reste plus qu’à régler exactement sur le point visé, ce qui, lorsque celui-ci est visible, se fait facilement au moyen de la lunette, puisqu’on voit si les obus tombent trop près, trop loin, trop à droite ou trop à gauche. Les rectifications ainsi transmises par téléphone sont immédiatement faites à la batterie.

La cabine du téléphoniste est un simple trou creusé en plein sol, où l’on accède par des marches taillées dans la terre, recouvert de plusieurs couches de rotins entrelardés de glaise, et où l’on défie les éclats de tous les obus et la chute directe des marmites elles-mêmes, des petites, sinon des grosses. Assis à la turque, par terre, le téléphoniste a l’air de s’y trouver très confortablement. A côté se trouve un autre trou pareillement abrité et qu’un écriteau de bois blanc soigneusement calligraphié de belle ronde dénomme un peu pompeusement « Villa Jolie. » C’est l’abri des officiers observateurs, où, nuit et jour, il y a toujours quelqu’un. Certes, sur le plancher de ce lieu de