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en place, repointer sur un arbre ou un objet quelconque placé à petite distance et qui sert de « point de repérage. » Les pointeurs en effet dans ce cas particulier, et en général dans cette guerre, ne voient pas le point sur lequel ils tirent, sinon la pièce serait visible par réciprocité. C’est d’un observatoire placé très en avant de la batterie (nous irons y faire un tour dans un instant) qu’on règle par téléphone le tir de celle-ci et qu’on donne à chaque pièce la hausse et l’orientation convenables. Une fois ce réglage fait, le pointeur s’assure que la direction. du canon fait un certain angle avec un objet déterminé (arbre, toit de maison), placé dans le voisinage et visible de lui, et qu’on appelle « point de repérage, » et il n’a plus, lorsque la pièce a été déplacée par le recul, qu’à rétablir cet angle, pour être assuré que la pièce est de nouveau en bonne position. Les autres servans remettent ainsi sur les indications du pointeur la pièce en place au moyen de leviers de bois qu’ils placent dans les roues du canon. Ce qui prouve qu’en artillerie, sinon ailleurs, il est quelquefois bon de mettre des bâtons dans les roues.

De plus, dans le 75 on introduit du même coup sous forme d’une cartouche l’obus et la charge de poudre destinée à le propulser et qui se trouve dans une douille fixée à la base de l’obus. En un mot dans le 75 le projectile et la charge sont réunis dans une cartouche comme dans le fusil Le bel. Au contraire, dans le 90, on introduit séparément et successivement dans l’âme du canon l’obus puis la charge de poudre sous forme d’une gargousse. Pour ces divers motifs, et quelques autres encore qu’il serait trop long d’expliquer ici, la rapidité de tir du 90 est bien moindre que celle du 75 et il ne peut guère tirer qu’un coup par minute, moins de vingt fois moins que le 75. Mais ce fait, qui dans une bataille ardente et brève comme celle de la Marne, pouvait avoir de l’importance, n’en a aucune dans la forme de guerre actuelle : il est rare en effet, — sauf en cas d’attaques, — qu’actuellement les 75 eux-mêmes aient à tirer plus d’un coup par minute. Depuis des mois en effet que dure cette forme stagnante de guerre, il n’est pas de stock et de fabrication de munitions qui résisterait à un taux même égal à celui-là. Il y a en effet 1 440 minutes par jour ; multiplions ça par plusieurs milliers de pièces de canon, et nous aurons le chiffre formidable d’obus que représenterait cette consommation journalière d’un obus par pièce et par minute.