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exclusivement. En tout cas, ils dédaignent les plus grands noms de l’étranger : un traité de médecine publié récemment en Allemagne attribue à Robert Koch et à Ferdinand Cohn les découvertes, incontestées de Pasteur, et c’est un professeur espagnol, le Dr Juan Madinaveitia, qui a souligné cet acte de déloyauté, révélateur, à son avis, de la décadence de la médecine allemande. « Je ne conseillerai plus à mes élèves d’aller en Allemagne ; mais je les enverrai à Paris ou en Russie, dans le laboratoire de Pawlow, » écrit-il dans le numéro 5 du journal hebdomadaire España. Les histologistes germaniques se montrent-ils aussi méprisans à l’endroit de M. Santiago Ramon y Cajal, professeur à l’Université de Madrid, l’un des histologistes les plus éminens de notre époque, prix Nobel de 1906 et hautement estimé en tous lieux ? Voilà un homme qui connaît par le menu sa science, les progrès qu’elle a accomplis de nos jours et ce que chaque nation, la nation allemande y comprise, peut en revendiquer ; ce savant, qui est un penseur, a dû réfléchir sur les conséquences de l’effroyable cataclysme qui ébranle en ce moment le monde. Que dit-il ? Il a fallu quelque peine pour le faire sortir de son laboratoire et répondre à une enquête sur « l’Après-guerre, » ouverte par le journal que nous venons de citer. Sa réponse est empreinte d’un découragement profond et de ce pessimisme navrant dont tous les Espagnols cultivés font profession et même étalage. Seulement, M. Ramon y Cajal donne à ses idées une base scientifique qui les rend encore plus désolantes. « La présente guerre, nous dit-il, a révélé chez l’homme la bête de proie qu’il porte en lui et justifié la donnée biologique admise de la résistance du cerveau à toute évolution. En dépit de l’influence éducatrice de la philosophie, du droit et de l’art ; en dépit des merveilleuses conquêtes de la science et de la technique, nos cellules nerveuses réagissent de la même façon qu’à l’époque néolithique : même tendance irrésistible vers le pillage à main armée, même goût pour l’odeur du sang d’autrui, même haine contre les peuples qui parlent une autre langue ou habitent de l’autre côté d’un fleuve ou d’une montagne. » Quant aux conséquences de la guerre, il ne croit pas à l’écrasement complet d’un des groupes belligérans ; il estime que les vaincus n’auront d’autre pensée que d’imiter les méthodes du vainqueur pour essayer de vaincre à leur tour, et que, quand les orphelins d’aujourd’hui auront atteint l’âge