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tue sur cet article, parce que je n’attends rien de bon de M. X…

J’avais grand’peur que le Prince ne se laissât enlever par cet aventurier et qu’il n’allât se casser le cou à Paris. Nous le guettions par la diligence, mardi soir, pendant qu’il arrivait dans une voiture de poste ; une indisposition l’avait forcé à quitter la voiture publique au sortir de Londres et à s’arrêter dans une auberge où, pendant une heure, il avait été fort malade. Voilà de ces surprises auxquelles sa santé nous exposera encore quelque temps. Mais au moins, à la grande satisfaction de sa mère, il rapportait sa brochure ; il avait aussi dans sa poche un numéro récent de la Tribune où figure l’article sur son frère Napoléon.

Depuis, nous l’avons entraîné dans nos courses de l’après-midi ; laissant inachevés nos portraits, qu’il sera possible de terminer ensuite sans nouvelles séances, nous lui avons cédé nos places, le matin, devant le chevalet. Il me demandait à ce sujet mon avis sur ses moustaches, qu’il avait laissées grandir, afin de pouvoir les boucler ; je lui ai dit que je les préférais en brosse, et le lendemain les frisures en trompette avaient disparu. C’est sans doute que miss Godfrey pensait là-dessus comme moi.

Il était très confus, mercredi matin, de s’être laissé surprendre faisant le pied de grue sous les fenêtres de la jeune fille ; il disait ensuite que, comme neveu de l’Empereur, il ne pourrait jamais épouser une Anglaise, que Mme Cottin pourrait faire là-dessus un roman sentimental. Au raout d’adieux que la Reine a donné, il n’a pas moins paru très empressé d’essayer sur sa conquête l’effet de ses nouvelles moustaches, et comme elle avait chanté pour lui un air anglais qu’il aime, il a chanté à son tour les deux couplets de sa chanson napolitaine.

La dernière entrevue du Prince avec miss Godfrey a eu lieu chez la Reine après cette soirée. Selon le principe des hommes, de saluer la dernière la femme dont ils s’occupent le plus, il a été causer d’abord avec toutes les autres, ce qui a provoqué chez elle un mouvement de dépit. Il se plaignit ensuite qu’elle ne voulait ni le regarder, ni lui parler ; c’était une scène à la Molière dont je me régalais in petto, tout en ayant l’air d’examiner des gravures. A la fin, ils se sont rapatriés sur le canapé où j’étais assise. Il lui peignit son chagrin de partir et lui dit, en rappelant la romance de l’autre jour,