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d’évangile ; on a bien raison de dire qu’il n’est pire eau que l’eau qui dort. Son silence et son calme cachent en lui un caractère passionné, quoique avisé et ténébreux. Lui qui n’a jamais aimé pour la douceur d’aimer, il est prêt à s’éprendre d’une aventurière pour le plaisir de conspirer. Son cœur ingénu est tortueux comme son esprit.

La Reine n’aperçoit d’autre moyen de le défendre contre elle, que de se faire amener Mme Lennox : connaissant l’ennemie, elle sera mieux armée pour la combattre. Hier donc vendredi, Mme Lennox arrive de bonne heure à George street. Elle est élégamment vêtue de noir, se présente avec aisance, et, bien qu’elle prétende ensuite avoir eu un battement de cœur en abordant la Reine, ne donne pas le moindre signe de sensibilité. Un M. Guibon l’accompagne, homme de cinquante ans, aux traits fins, maladifs, qu’à certains indices, la Reine devine avoir été de l’ancienne police impériale. Mme Lennox paraît être l’enfant perdu qu’il pousse devant lui et la marionnette dont il tient les fils. Il se vante d’avoir fait un tableau du baptême du Roi de Rome, au sujet duquel l’Empereur, transporté d’admiration, aurait dit : « Demandez-moi ce que vous voulez ! » Guibon aurait demandé alors la permission d’assister chaque jour au déjeuner impérial. Toute cette histoire est entièrement hors de la manière de l’Empereur, et par conséquent inventée. Que faut-il croire, après cela, de ce que ce Guibon raconte des affaires de Belgique ? Il a été l’agent du duc de Leuchtenberg, dont il avait manigancé l’élection en sous-main ; mais « tout son ouvrage a été détruit par la faute de M. Méjean et du duc de Bassano. »

La Reine ne peut ni prendre intérêt au commerce de gens pareils, ni non plus se passer d’eux, étant, comme le dit Mme Lennox, « trop avancée pour pouvoir reculer. » La journée s’achève en visites rendues, en cartes remises ; si souffrante qu’elle soit, la Reine pousse jusque chez les Murat, pour dire adieu.

Le prince Achille est seul ; pris d’une prudence tardive, et ne se souvenant plus du tout de ce qu’il a dit devant moi, il me conduit au jardin, me laisse dans un bosquet et confie à la Reine des choses secrètes, dont elle s’empresse de me faire part au retour.

A l’inverse du prince Louis, prêt à partir en guerre avec son