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en apercevant Laure dans une voiture élégante. Et elle combinait de partir pour Townbridge le plus tôt qu’il se pourrait. Deux invitations, l’une chez la duchesse de Saint-Alban, l’autre chez lady Holland, ne pouvaient ni l’une ni l’autre être évitées ; et, comme celle-ci est pour vendredi soir, notre départ se trouvait ainsi fixé à samedi matin.

Aujourd’hui, jour de travail pour tout le monde ; la Reine écrivait un article à placer dans un journal ; le Prince s’occupait à transcrire des pensées de son frère, écrites au crayon dans un petit carnet, il les trouve si belles qu’il veut les développer, les annoter et les publier.

Comme je lui portais l’article de la Reine, il m’a montré un médaillon qu’il vient de faire faire pour y mettre des cheveux du pauvre Napoléon. Une des faces de ce bijou porte la devise : Honneur, Liberté, Patrie, et l’autre un trophée de drapeaux en émail tricolore.

Il avait beaucoup pleuré en pensant à son frère et en avait encore les larmes aux yeux. J’ai profité de cet instant d’attendrissement pour le sermonner sur ses sorties du soir et sur sa Laure. Il m’a répondu que, fort heureusement pour lui, il ne savait pas ce que c’est que l’amour, qu’il ne s’en était douté qu’une fois à quinze ans ; il avait éprouvé alors un plaisir infini, le plus doux qu’il ait ressenti de sa vie, à regarder une jeune fille assise à la fenêtre, qu’il n’a jamais revue et qu’il n’oubliera jamais.

Cette déclaration était rassurante. J’ai été la redire à la Reine, qui s’apprêtait déjà pour le dîner chez la duchesse de Saint-Alban. C’était l’affaire du collier qui nous ramenait une fois de plus chez l’importante lady. Avertie, elle avait elle-même, en nous attendant, étalé tous ses joyaux sur une table, Elle a le collier de diamans de Marie-Antoinette, le diadème de la Duchesse de Berry, des fleurs de rubis qui ont appartenu à la reine de Naples et trois saphirs merveilleux qui proviennent, croit-on, des bijoux volés à la princesse d’Orange par son mari. Tout cela a pâli auprès du collier du couronnement. La duchesse s’est fait répéter qu’il avait été porté par l’impératrice Joséphine ; elle l’a admiré, soupesé, retourne, et dit tout uniment qu’elle ne l’achetait pas. Pour compléter la déconvenue et mettre à l’épreuve la sérénité inaltérable de la Reine, elle nous a fait admirer sans fin ses dentelles, sa vaisselle et son argenterie.