Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Quotidienne la lettre de La Fayette à ses électeurs, elle m’a interrompu bientôt, protestant que cela était médiocre, diffus, et que j’avais vraiment d’étranges manières de la désennuyer.

Elle n’aime pas La Fayette, contre qui elle a hérité des préventions de l’Empereur ; elle ne peut lui pardonner.

Le Prince est rentré à six heures, venant de la séance d’ouverture du Parlement où M. Fox l’avait conduit. Arrivés en retard, ils avaient eu toutes les peines du monde à pénétrer dans la salle, et n’en avaient pas moins entendu en entier le discours du Trône.

Le Prince a conté plaisamment les frayeurs de M. Fox dans la foule. Il le montrait se précipitant dans une voiture qui passait et qui s’est trouvée être celle de son intime ennemi. Le fait est que l’insolence du peuple est extrême ; le Prince en a fait l’expérience en échangeant une pièce d’or dans un cabaret, ce qui lui a valu des injures et des huées.

La conversation a continué pendant le dîner sur ce sujet de la haine des classes les unes pour les autres. La Reine insistait sur la nécessité de maintenir à leur place ceux qui sont en bas, et, pour cela de leur faire porter sur les épaules le poids de la hiérarchie : « Mais de quel droit la leur faites-vous, cette place ? ai-je demandé. Ne sera-t-elle pas bien petite et tout à fait insuffisante si le peuple n’est pas admis à la discuter ? » La Reine répondait que souvent c’est l’amour-propre et la vanité qui se révoltent contre l’autorité ; les vrais besoins du peuple n’ont rien de commun avec l’orgueil des tribuns, des cuistres et des maîtres d’étude ; ceux-ci méprisent la foule autant qu’ils haïssent l’aristocratie, et c’est pour de bien petites rancunes d’envie qu’ils défendent les principes et se font les champions des droits. Le farouche M. Le Bas, reprend le Prince, n’avait jamais pu se résigner a n’être que le troisième à table ; en rentrant chez lui, il se réjouissait à l’idée qu’il mangeait des ailes de poulet, après s’être contenté si longtemps des cuisses à Arenenberg.

Notre trio a été interrompu en ce point par un quatuor fort bavard, composé des Murat, d’un de leurs amis, M. de Malherbe, et d’un Italien, qu’il paraît que nous avons vu à Foligno, où il était secrétaire du fier-à-bras Sercognani… « Soyez tranquille, prenez patience, disait celui-ci à la Reine. Si vous avez été malheureuse quinze ans, bientôt vous ne le serez plus 1 » Elle a remercié avec une ironie qu’il n’a pas sentie, et le