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en France ; les Anglais ont eu l’adresse de se réserver les meilleurs chemins de fer, les principaux réseaux argentins, le Sao Paulo Railway. Alors les États-Unis ne songeaient qu’à leur développement domestique et n’engageaient guère leur épargne au dehors. Tout au plus commençaient-ils à déborder sur les terres contiguës à leur frontière méridionale, Mexique et Amérique Centrale, où ils entraient en concurrence avec les bailleurs de fonds d’Occident. Tant de liens ont été noués pendant près de cent ans, entre les deux rives de l’Atlantique, qu’une exclusive de Washington ne suffira pas à les briser.

Bien mieux : les Sud-Américains n’ont pas été, jusqu’ici, bien préparés à s’orienter différemment pour l’avenir. L’allure hautaine des trusters yankees ne les séduit guère ; il y a, dans la manière de ces capitaines d’affaires, quelque chose de méprisant qui irrite des Latins, très susceptibles, justement persuadés qu’ils méritent mieux ; les capitaux européens, moins solidaires, plus indépendans des gouvernemens, n’agissent point par rafales, comme une artillerie conquérante ; ils sont entre eux concurrens et se font contrepoids les uns aux autres. Ainsi la substitution que le président Wilson proposa ne rallierait certainement pas la majorité des Sud-Américains ; il est vrai que les banquiers yankees excellent à faire travailler le capital que lui confient de trop complaisans souscripteurs européens, de sorte que l’une des sources resterait la même, si la canalisation était quelque peu déviée, mais on ne voit pas ce que prêteurs et emprunteurs gagneraient à rémunérer cet intermédiaire. M. Wilson, adversaire résolu de la féodalité des trusts, ne s’inquiète pourtant pas, en desservant l’Europe, d’aider les puissances financières qu’il déclare vouloir combattre dans son pays ; à moins qu’il n’estime que, pour les détruire aux États-Unis, le moyen le plus sûr est de les exporter ; la doctrine de Monroe, telle que la comprennent même les loyaux démocrates de Washington, allait devenir une sorte de décret nominatif de la Providence, signifiant pour l’Union américaine le devoir d’assurer à tout un continent le bienfait de sa domination.


Cependant l’heure parait proche où l’esprit des Yankees va s’ouvrir à la nouvelle évidence ; leur impérialisme pourrait bien avoir trouvé au Mexique son chemin de Damas ; la guerre