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la conquête économique par des groupes privés, auxquels est, plus ou moins explicitement, promis l’aval des pouvoirs publics ; jamais, avec plus d’ardeur que pendant les premières années du XXe siècle, les capitalistes yankees ne se jetèrent sur les pays de l’Amérique centrale et même méridionale. Nous n’aurons garde de nier que leur action ait été créatrice, largement bienfaisante par endroits ; mais elle s’est toujours affirmée par une étroite subordination des libertés locales, par des faits de colonisation tels que les États-Unis n’en auraient pas toléré, en Amérique, de la part d’une puissance européenne. Le cas le plus caractéristique, sur les côtes du golfe du Mexique, est celui de la Société United Fruit. Le littoral atlantique du Honduras, du Nicaragua, du Costa-Rica a été couvert, par cette Compagnie, de plantations de bananiers ; de vastes domaines défrichés, des chemins de fer, des ports, des services hebdomadaires de paquebots spécialement aménagés, tel est le bilan de l’œuvre accomplie. Mais cette activité est extérieure à l’existence nationale des États dont elle emprunte le territoire ; les administrateurs sont tous yankees ; les ouvriers sont, pour la plupart, des noirs de la Louisiane et des Antilles, l’anglais est la seule langue courante sur cette marge de pays où l’on parle normalement espagnol.

Dans les Républiques les plus avancées de l’Amérique australe, Argentine, Brésil, Chili, les hardiesses nord-américaines sont moins dominatrices, elles n’en rendent pas moins suspectes à beaucoup de citoyens indépendans les déclarations d’amitié qui partent des États-Unis. Le Brésil a été, pendant plusieurs années, la carrière de choix des spéculateurs groupés, suivant la méthode familière aux financiers de New York, en un trust aussi cohérent que diversement ramifié : en réalité, la Compagnie du Port de Para, celle du chemin de fer du Haut Madeira, les grandes sociétés d’élevage du Matto Grosso sont des filiales du groupe qui a entrepris, au Sud et à l’Ouest de Rio, l’unification des chemins de fer brésiliens ; il est connu sous le nom de Brazil Railway Company, ou encore de trust Farquhar (ainsi s’appelle son principal metteur en œuvre) ; l’épargne française a trop libéralement accordé son concours à ces affaires, où elle n’a trouvé ni les garanties financières désirables, ni la compensation d’un placement rémunérateur pour des produits nationaux.. Cette vaste entreprise, où il s’est