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ou du moins ils le croient. Il y a bien eu, au temps de Bismarck, l’affaire des Carolines, qui faillit provoquer un grave conflit, et qui donna à nos voisins un avant-goût des procédés de la diplomatie allemande, mais l’incident fut vite oublié. Avec nous, il n’en est pas de même.

Un journal de Madrid, qui nous est très hostile, écrivait, il y a peu de temps : « Il nous convient que l’Allemagne triomphe, parce que, moralement et matériellement, elle est plus loin de nous que la France. Une France triomphante, première nation de l’Europe, deviendrait maîtresse souveraine de l’Espagne. Au contraire, vaincue par l’Allemagne, la France est tenue de respecter notre autonomie, et nous, de notre part, la voyant battue, nous réprimerons la tendance que nous avons d’imiter et de copier en tout nos voisins. L’affaiblissement de la France, par conséquent, donne à l’Espagne une garantie d’indépendance, d’autant mieux que la prépondérance abusive et irritante que la France dominatrice exerce aujourd’hui sur nous ne peut pas passer à l’Allemagne : 1° à cause de son éloignement ; 2° parce que notre caractère national est plus réfractaire au caractère allemand qu’au français ; 3° parce qu’il y aura toujours entre l’Allemagne et nous une France assez forte pour nous servir d’écran et de bouclier. » Sous une forme moins revêche et avec des atténuations dues à la courtoisie castillane, que d’aveux du même genre n’avons-nous pas recueillis, depuis 1870, de la bouche de tant d’autres Espagnols, qui pourtant aiment la France et qui souffrirent de sa défaite, dont ils se sentaient touchés en tant que Latins !


Un des enseignemens de cette terrible guerre sera de nous guérir de la fâcheuse manie de généraliser. Souvent, l’on entend dire que les « gauches » espagnoles sont pour nous, tandis que les « droites » sont pour l’Allemagne. Assurément, il y a plus de sympathies pour la forme du gouvernement français dans le premier groupe que dans le second, quoique le terme de « gauches » soit bien élastique et de nature à créer des confusions. Mais gouvernement et nation font deux, et, dans les circonstances présentes, la nation a bien quelque importance. Or, il convient de se demander si la France, ses mœurs, ses traditions et son génie ne comptent pas de nombreux partisans