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place qu’elle devrait avoir dans le concert européen, personne ne peut le dire au juste ; toutefois, chacun sait et voit les progrès matériels considérables qu’elle a réalisés dès la deuxième moitié du XIXe siècle et dont elle peut tirer le pronostic d’un brillant avenir, vu que tout accroissement de forces économiques prépare le terrain à une supériorité politique. La richesse et le bien-être contribuent puissamment à hausser le prestige d’une nation et à lui donner cette assurance sans laquelle rien de grand ne saurait être entrepris. C’est ce qu’a toujours soutenu, dans ses livres et dans ses discours parlementaires, le grand homme d’Etat Canovas del Castillo, qui attachait une importance capitale au développement financier et commercial de son pays ; et c’est ce que défendit aussi un jour, avec une pointe de paradoxe, le charmant et spirituel écrivain, D. Juan Valera, à l’occasion d’une polémique sur la valeur de la philosophie espagnole : « Que notre Extérieure monte seulement à 100, et nous ferons croire au monde que Vivès vaut Descartes ! » Une fois riche et prospère, repeuplée et bien mise en valeur, l’Espagne redeviendra du même coup puissante et pourra résoudre certains grands problèmes que ses hommes politiques renvoient toujours au lendemain ; surtout, elle possédera enfin un esprit public alerte et vigilant, et nous ne la verrons plus se nourrir seulement de regrets mélancoliques ou de vagues aspirations. Mais, jusque-là, elle éprouvera des mouvemens d’impatience et des accès de mauvaise humeur, qui s’exercent volontiers à nos dépens.

Le fait, à coup sûr, est regrettable, mais comment l’éviter ? La géographie nous y condamne. Sauf exceptions, les Espagnols ne connaissent pas d’autres étrangers que nous ; c’est avec des Français qu’ont lieu presque tous leurs frottemens et, partant, leurs froissemens. Les Allemands qui vivent ou circulent sur leur sol se perdent dans la masse et ne les incommodent guère. Alors que chez nous les représentans de la Kultur infestent, en formations compactes, plusieurs de nos départemens, y étalant leurs habitudes bruyantes et vulgaires, l’Allemand d’Espagne, qui se montre surtout sous l’aspect d’un commerçant ou d’un commis voyageur, passe inaperçu Même s’il n’a pas beaucoup de goût pour ses allures, l’Espagnol le tolère ; il admire son inlassable activité ; il trouve avantageux de profiter de son aptitude mercantile et d’acheter à bas prix sa camelote. Politiquement parlant, l’Allemagne ne gêne pas non plus les Espagnols,