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encore est le manque de perspicacité des correspondans de journaux allemands. Ils notaient soigneusement les menus faits de notre vie publique, mais ils nous jugeaient de parti pris, avec l’orgueil d’une grande nation qui a conquis elle-même son unité de fraîche date. Ils ne distinguaient dans le peuple belge que la juxtaposition de deux races ennemies, accouplées malgré elles et vouées à une séparation complète ; un peuple n’ayant qu’une existence géographique. Les querelles des Flamands et des Wallons étaient dépeintes dans leurs correspondances comme le fruit de haines irréconciliables et les luttes des partis politiques comme des batailles sans merci, car ils n’y voulaient voir que le profit que le germanisme en pourrait tirer. Mais l’amour de tous les Belges pour leur indépendance a échappé à ces observateurs établis chez nous, qui disséquaient avec soin notre corps social, sans y découvrir une âme nationale. Jamais les Belges n’ont paru plus divisés que dans la période qui a précédé la guerre, et jamais ils n’ont été réellement plus unis dans un dévouement égal à leur patrie commune.

Qu’aurions-nous gagné à nous incliner devant les menaces allemandes ? Quelle confiance pouvions-nous avoir dans les promesses d’un gouvernement qui déchirait sans vergogne un traité solennel, pour faciliter à son armée l’accès d’un territoire ennemi ?

Entrés chez nous en amis, les Allemands, après la victoire, n’en seraient jamais sortis. Que ceux qui en doutent contemplent l’explosion de convoitises, provoquée dans toutes les classes de la population germanique par l’envahissement de la Belgique. Intellectuels armés de prétendus droits historiques, industriels jaloux de notre concurrence économique, commerçans avides d’accaparer notre marché, donnent aujourd’hui la main aux socialistes, férus, comme les autres, de l’idéal d’une plus grande Allemagne, pour réclamer en chœur notre annexion. Les prétextes n’auraient pas manqué au Cabinet de Berlin, résolu à trahir une fois de plus sa parole : le besoin d’occuper tout le littoral de la mer du Nord, comme base navale contre l’Angleterre, l’importance stratégique et commerciale du port d’Anvers, peut-être aussi des conflits inévitables entre les autorités belges et les autorités allemandes qui auraient présidé à l’occupation d’une partie du pays. Jusqu’où, d’ailleurs, cette