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principalement en grandes masses sur la rive gauche de la Meuse, où il aurait tout le champ nécessaire pour se déployer.

Mais, en définitive, le plan de l’état-major allemand n’avait pas été pénétré dans toute son ampleur. La très grande majorité des publicistes, jouissant de quelque autorité, ne faisaient passer par la Belgique qu’une partie seulement, l’aile droite, de l’armée marchant contre la France. Ils n’avaient pas deviné l’audacieuse manœuvre, à développemens immenses, que nous avons vu exécuter : laisser un rideau de troupes le long des Vosges et franchir la Meuse sur plusieurs points avec les trois quarts de l’armée, depuis Visé jusqu’à Dinant, enlever Liège et Namur d’assaut, s’il le fallait, marcher sur Bruxelles en balayant l’armée belge, au cas où elle aurait résisté, et de là se rabattre vers le Sud par les différentes voies conduisant à Paris. Tout le Nord de la France était dépourvu de défenses, hormis la place forte de Maubeuge. Les plaines de la Belgique traversées, la route de Paris était ouverte.

Qu’on s’imagine, non pas un fleuve ni un torrent, mais une véritable mer d’hommes, se répandant sur notre pays depuis la Hollande jusqu’au Luxembourg, un million et demi, deux millions de soldats ! Contre l’irruption en Belgique d’une telle avalanche, des dispositions militaires n’avaient pas été prises. D’après une note officielle du gouvernement de la République, la totalité des forces françaises étaient orientées au début de la guerre face à l’Allemagne, de Bel fort à la frontière belge.

La première condition du succès d’un plan d’offensive aussi hardi était le secret. Aussi a-t-il été bien gardé. Le haut commandement allemand s’est ingénié à laisser errer les opinions et à dépister le flair des attachés militaires étrangers. Un trompe-I’œil, sur quoi il comptait vraisemblablement, était la façon dont étaient disposés les cantonnemens des 25 corps d’armée. La carte où ils figuraient nous montrait une dizaine d’entre eux masses en Alsace-Lorraine, dans le Palatinat et le grand-duché de Bade, prêts à se jeter de ce côté-là sur la France. Un seul corps, dont le commandement résidait fort loin, à Coblence, était garnisonné le long de la frontière belge et hollandaise. Quelle apparence qu’on tenterait d’outrer en Belgique avec des forces aussi réduites ! Mais les corps de la Westphalie, du Hanovre, du Holstein même, pouvaient