Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa propre puissance et de celle de l’Allemagne, ne faisait rien pour alléger le poids des obligations qu’elle imposait à son alliée. Cependant celle-ci gardait son calme, — et attendait. La dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’amertume a été l’ultimatum adressé par l’Autriche à la Serbie.

Les conditions de l’alliance obligeaient l’Autriche à ne rien entreprendre dans les Balkans sans s’être mise d’accord avec l’Italie ; elles ont été méconnues et violées. Pourquoi ? S’il y avait eu simple négligence, l’omission serait déjà grave, mais il y a eu à Vienne volonté formelle, arrêtée après réflexion, de se passer du consentement de l’Italie et de la mettre en présence d’un fait accompli. Pourquoi encore ? Parce que, l’année précédente, l’Italie avait été pressentie au sujet d’une intervention militaire, de l’Autriche en Serbie et qu’elle y avait opposé son veto. L’Autriche savait donc bien, en juillet 1914, que l’entreprise où elle s’engageait était contraire aux vues de son alliée, qui y voyait une atteinte à ses intérêts, et elle passait outre. Un tel acte déliait l’Italie de toutes les obligations de l’alliance : cependant elle ne l’a pas dénoncée tout de suite et s’est contentée de notifier sa neutralité. « Pendant de longs mois, a dit M. Salandra, le gouvernement s’est employé patiemment à rechercher un compromis restituant à l’accord la raison d’être qu’il avait perdue. » Quoi qu’on en ait dit, l’Italie n’a pas oublié en un jour une alliance qui avait duré trente ans ; elle a négocié longtemps, mais inutilement : elle s’est aperçue enfin que, du côté de l’Autriche, les négociations avaient un caractère nettement dilatoire et que l’écart entre les vues des deux pays ne serait jamais comblé. « Dès lors, dit M. Salandra, le gouvernement royal s’est vu forcé de notifier au gouvernement impérial et royal austro-hongrois, le 4 mai, le retrait de toutes ses propositions d’accord, la dénonciation du traité d’alliance et une déclaration de sa liberté d’action ; et, d’autre part, il n’était plus possible de laisser l’Italie dans l’isolement, sans sûreté et sans prestige, précisément au moment où l’histoire du monde traverse une phase décisive. » On est frappé avant tout dans ces quelques lignes de l’impression de droiture qui s’en dégage. M. Salandra y montre cette première et si rare qualité de l’homme d’État qui s’appelle le caractère. Il sait prendre une résolution et, après l’avoir prise, il l’exécute. M. Giolitti aurait tergiversé indéfiniment, laissé passer l’occasion favorable et, en fin de compte, mendié une aumône qu’on lui aurait peut-être dédaigneusement jetée. M. Salandra a rompu des négociations où il ne voyait ni bonne volonté, ni bonne foi, et dénoncé l’alliance. Il l’a