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elles se retournent contre celui qui les a tentées. Le lendemain, M. Giolitti est devenu l’homme que tous ses amis abandonnent. Nous exagérons : quelques-uns lui sont restés fidèles, une trentaine à la Chambre et deux au Sénat. La majorité réunie par le gouvernement a été imposante. Le projet de loi par lequel il demandait des pleins pouvoirs pendant la durée de la guerre a réuni, en effet, à la Chambre 407 voix contre 74. Il faut comprendre dans ce dernier chiffre 43 socialistes, qui étaient d’avance irréductibles. Ce qui montre à quel point le gouvernement a voulu laisser entière la liberté de la Chambre, c’est que le vote a eu lieu au scrutin secret.

Cette séance, dont la date restera une des plus importantes de l’histoire d’Italie, a eu lieu le 20 mai. Elle a été brève, mais très impressionnante et a fourni sur les négociations antérieures et sur la situation présente les renseignemens les plus précieux. Le gouvernement n’a rien caché, rien dissimulé de sa politique et jamais assemblée parlementaire n’a été mise mieux à même de voter en pleine connaissance de cause. C’est donc bien la volonté de l’Italie qui s’est exprimée ce jour-là. La Déclaration faite à la tribune par M. Salandra a été simple, grave, et d’une loyauté parfaite. Le président du Conseil a commencé par rappeler que, « depuis sa résurrection à l’unité d’État, l’Italie s’est affirmée parmi les nations comme un facteur de modération, de concorde et de paix. » Ce n’est pas qu’elle n’ait eu à subir des épreuves nombreuses et pénibles qui, plus d’une fois, auraient pu justifier de sa part une conduite différente. La Déclaration de M. Salandra nous aurait appris, si nous ne l’avions pas su, que le ménage de l’Italie et de l’Autriche a été fort loin d’être heureux. La plainte de l’Italie s’élève aujourd’hui devant le monde auquel elle n’a plus rien à cacher, et on se rend compte combien était exact et vrai le mot du comte Nigra à M. de Bülow : « L’Italie ne peut être qu’alliée ou ennemie de l’Autriche. » L’alliance était à la fois un frein et un bâillon : il fallait supporter beaucoup et se taire. « Étant donné la noblesse du but, dit M. Salandra, l’Italie a non seulement toléré le manque de sécurité de ses frontières, elle a non seulement subordonné à ce but ses aspirations nationales les plus sacrées, mais encore elle a dû assister avec douleur aux tentatives pratiquées méthodiquement pour supprimer ces caractères d’italianité que la nature et l’histoire avaient imprimés de façon ineffaçable sur des régions généreuses. » On voit combien de revendications et de griefs s’accumulaient sourdement dans l’âme italienne, et il faut convenir que l’Autriche, se sentant, se croyant doublement forte de