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philosophé. Au lieu de célébrer la guerre, il l’a défendue contre ses adversaires. Appelant Darwin à la rescousse, il a présenté la guerre comme un fait biologique ; il l’a fondée sur les lois dites de l’évolution. Seulement, l’évolutionnisme, il le connaît beaucoup moins par les écrits de Darwin que par les contresens de son ami Hœckel, l’un des penseurs qui ont le plus regrettablement faussé le darwinisme, déjà tout plein d’erreur. Et les lois dites de l’évolution, — loi de la multiplication des espèces, — Bernhardi comme son ami Hœckel les conduit à gouverner une sorte de monisme, l’unité allemande, monisme pangermaniste.

Il y a ainsi de la confusion, de la sophistique et du badinage pédantesque dans toute la philosophie pangermaniste, dont Notre avenir est le brillant exposé. N’en soyons pas surpris : somme toute, il s’agissait de transformer en un système d’idées honorables les scandaleux appétits de la Germanie ; une pareille tâche demandait du faux-semblant. Voici la guerre : elle détraque tout le faux-semblant du système. Et l’on voit en plein la réalité : les appétits énormes des Germains.

Ce qui subsiste et ce qui se manifeste avec une intensité singulière, c’est l’opposition, nettement indiquée (à d’autres fins) par notre auteur, l’opposition de la Germanie et des autres peuples. Ceux-ci et celle-là ont à débattre une querelle qui ne souffre plus d’accommodement. Bernhardi réclamait pour l’Allemagne une « mission. » Et l’Allemagne, sans le vouloir, a donné aux autres peuples une mission, — mais une mission franche et qui n’a rien à cacher de ses projets ni de ses instrumens : — délivrer de la Germanie le monde, qui refuse d’être sa dupe et sa victime. Averti par un Bernhardi imprudent, le monde revendique ses droits, — positifs, moraux et biologiques, si l’on veut, — ses droits à la vie, contre une Allemagne de proie et de calamité. Hégémonie mondiale ou décadence ? Bernhardi pose ainsi le problème. Et le problème est résolu : décadence.


ANDRE BEAUNIER.