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sûrement assurée par d’autres voies. » C’est la politique, désormais fameuse, du chiffon de papier.

Pour illustrer, pour éclairer d’une lumière éclatante la formule de Bernhardi, nous avons, dans le Livre jaune, le récit de la visite que fit, le 8 août dernier, sir E. Goschen, ambassadeur d’Angleterre, au chancelier de l’Empire allemand. Sir E. Goschen trouva le chancelier fort agité. Son Excellence ne parla pas moins de vingt minutes : « Juste pour un chiffon de papier, la Grande-Bretagne allait faire la guerre !… » Et, pour l’Allemagne, violer la neutralité belge, c’était une affaire de vie ou de mort. L’ambassadeur répondit que, pour l’honneur de la Grande-Bretagne, rester fidèle à ses engagemens était aussi une affaire de vie ou de mort. Et le chancelier répliqua : « Mais à quel prix ce pacte aurait-il été tenu ? Le gouvernement britannique y a-t-il songé ? » L’ambassadeur : « J’ai insinué à Son Excellence, avec toute la clarté qui me fut possible, que la crainte des conséquences ne pouvait guère être considérée comme une excuse pour la rupture d’engagemens solennels. » Voilà les deux thèses. L’une est celle de l’honneur et de l’honnêteté, celle du droit pur et simple : l’autre, celle du pangermanisme, celle de Bernhardi : « on ne peut exiger d’aucun État que, pour l’amour d’un engagement reposant sur le droit positif, il mette en jeu son existence, quand celle-ci peut être mieux et plus sûrement assurée par d’autres voies. » Après cela, que Bernhardi réprouve « la duplicité, la déloyauté, l’infidélité » comme des « procédés de politique condamnables, ce n’est rien. Ces procédés, il ne les condamne que chez les autres. Le droit positif, — le méprisable petit droit positif ! — s’applique à toutes les nations également ; le droit biologique favorise et met dans une situation délicieusement privilégiée la nation la plus forte et la plus féconde : c’est l’Allemagne !… Ainsi l’Allemagne ne sera point gênée dans son entrain par les chiffons de papier sur lesquels elle aura trouvé commode, un beau jour, de poser sa preste signature.

Dans les conversations étonnantes qu’il eut, le 8 août, avec MM. de Jagow et Bethmann-Hollweg, sir E. Goschen apprit (et ne crut pas un instant) que l’Allemagne avait, à l’égard de l’Angleterre, les intentions les plus affectueuses. M. de Jagow exprima « son poignant regret de voir s’écrouler toute sa politique, qui a été de devenir amis avec la Grande-Bretagne et ensuite, par elle, de se rapprocher de la France. » Et M. de Bethmann-Hollweg se lamenta : l’Angleterre entrait en guerre contre « une nation à elle apparentée, qui ne désirait rien tant que d’être son amie ; » la politique à laquelle lui,