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pouvoir arbitraire et étranger, rétablir l’ancienne Constitution de l’Empire ou partager l’Allemagne en deux grandes Confédérations réunies par une alliance perpétuelle, l’une sous la protection de l’Autriche, l’autre sous celle de la Prusse ; réduire la Bavière à ses anciennes proportions, réunir le duché de Berg à celui de Clèves pour le donner à la Prusse, restituer à son ancien possesseur, la maison d’Autriche, le Tyrol et le Vorarlberg, avancer la frontière autrichienne jusqu’au Mincio, condition indispensable de l’indépendance réelle de l’Allemagne.

Haugwitz sourit et répondit de l’air le plus bienveillant : « Vous parlez comme si vous aviez lu dans mes pensées et dans mes papiers. Voilà, à peu de modifications près, le plan que j’ai conçu… Il nous faut avant tout des victoires. Si nous les obtenons, je vous promets bien que vous n’entendrez plus parler ni de la ligue du Rhin, ni du Primat, ni de Murat… C’est la Bavière qui doit payer l’écot. Je crois qu’il serait bien d’agrandir la Prusse du côté de la Franconie… Quant à la restitution du Tyrol et à l’extension de la frontière de l’Autriche en Italie, je regarde ces mesures comme les plus pressantes de toutes. »

Cela dit, Haugwitz pria Gentz de l’assister de ses conseils, puis, une fois au courant de tout, de se rendre à Vienne pour parler de ce qu’il avait vu et entendu et détruire les restes de méfiance contre la Prusse. Gentz accepta d’être le conseiller d’Haugwitz, mais déclina le voyage, car il n’avait aucun titre quelconque pour s’ingérer dans des affaires aussi importantes ; et d’ailleurs le récit fidèle de ce qu’il avait appris se ferait aussi bien par écrit.

Haugwitz n’insista pas. Il demanda seulement à Gentz de réviser un manifeste à la Prusse et à l’armée, préparé par M. Lombard, et de le traduire en allemand. Gentz y consentit, puis alla converser avec le marquis de Lucchesini, afin de comparer ses impressions avec celles d’Haugwitz, lequel lui avait présenté l’histoire du passé sous un aspect favorable et brillant qui l’avait rendu très désireux d’éclaircissemens et de rectifications. Il eut, grâce à Lucchesini, la connaissance complète des motifs qui avaient déterminé la Prusse à cette subite levée de boucliers : le dédommagement du roi de Naples par les îles Baléares, le maintien de la Poméranie suédoise, les propositions faites à l’électeur de Hesse, les vues habiles contre le prince d’Orange, la mainmise sur le Hanovre et sur les bouches de Cattaro.