Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gentz était né, comme je l’ai dit, l’adversaire de la Révolution française et de Bonaparte qui l’incarnait. Il avait voulu délivrer l’Allemagne du joug de l’étranger, et, tout en tirant un profit considérable de sa plume, il mettait à cette tâche une ardeur passionnée et sincère. Par son talent incontestable de publiciste et de polémiste, il était devenu un adversaire redoutable. Il avait contribué certainement, avec Metternich, à la chute du colosse impérial et s’était fait un nom aussi célèbre que celui de Stein, de Fichte, d’Arndt, de Hardenberg et de Humboldt. Napoléon le détestait et l’appelait « un misérable scribe, un de ces hommes sans honneur, qui se vendent pour de l’argent. » Sans aller jusque-là, il est cependant avéré que la passion de Gentz pour cet argent et pour les plaisirs qu’il procure était immense, et son Journal intime mentionne avec complaisance, à la fin de chaque année, les louis, les frédérics, les ducats, les roupies, les florins, les sequins qui tombaient de toutes parts dans sa caisse bien tenue.

Le Journal du mois d’octobre 1806, qui a paru pour la première fois dans l’United Service Gazette, et de là est passé en Allemagne, a fait jadis grande sensation, même en Prusse, où le lieutenant général de Boyen en a hautement reconnu l’authenticité. Il fut rédigé par l’auteur en français, comme étant la langue diplomatique par excellence. Gentz avait tenu à se servir spécialement de cette langue, parce qu’elle lui permettait d’expliquer plus clairement qu’aucune autre « les véritables causes de la chute subite et lamentable de la nation prussienne. »

Comme le remarque l’éditeur de Stuttgart, G. Schlesier, ce Journal nous présente « un tableau effrayant de l’infirmité et de la décadence dans laquelle la monarchie du grand Frédéric était tombée, depuis qu’énervée au dedans elle avait suivi au dehors une politique faible et antinationale. La peinture, frappante des personnes et des événemens, la connaissance profonde de la conduite déplorable des faiseurs et celle des dangers menaçans, l’exposition lucide des véritables causes de la guerre et de son issue funeste, enfin, les principes nobles et solides que l’auteur manifeste partout, l’élan patriotique et le ton mélancolique qui animent le récit de ces calamités nationales, tout cela fait, ajoute Schlesier, de ce Mémoire un des documens historiques les plus merveilleux. ».