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soumit ses vues politiques à ce monarque qui, attiré dans l’alliance de la République française, le jugea un esprit trop réactionnaire et lui reprocha de se faire l’avocat de l’Angleterre et de ses ambitions. Les aperçus de Gentz sur les Origines et le caractère de la guerre contre la Révolution française rendirent sa situation difficile en Prusse et l’amenèrent à se lier avec le ministre Thugut, conseiller violent de l’Autriche. Attiré en ce pays, il y fit la connaissance de Metternich dont il devait être un jour le secrétaire intime et indispensable, et se fixa à Vienne, séjour délicieux où il put entretenir des relations politiques importantes avec Colloredo, Cobenzl et d’autres ministres de laCour.et en même temps jouir des plaisirs et des distractions les plus désirables. Après une entrevue avec l’empereur François qu’il charma par son esprit incisif, sa dialectique profonde et sa ferme volonté, il fut gratifié d’une pension de 4 000 gulden, ce qui n’était que le commencement d’une fortune considérable, car Gentz était de ces hommes qui ne peuvent se contenter de l’aurea mediocritas, vantée surtout par les poètes.

Adversaire acharné du Premier Consul et jaloux des succès immenses et du génie extraordinaire d’un homme qui, de simple général, allait monter au faîte des grandeurs humaines, il consacra tous ses efforts et tout son talent à combattre, comme le faisait d’autre part Mallet du Pan, sa puissance inouïe. A l’instigation de Louis XVIII, il composa un Mémoire destiné à être répandu dans toute l’Europe contre l’avènement de Napoléon au trône impérial, puis étudia les rapports de l’Angleterre et de l’Espagne et la nécessité de maintenir à tout prix l’équilibre politique de l’Europe. Conseiller aulique, puis, au lendemain de la première abdication de Napoléon, secrétaire du Congrès de Vienne, titre qu’il aimait à transformer en celui de « Secrétaire général de l’Europe, » il fut un des plus utiles instrumens de ce Congrès comme de ceux d’Aix-la-Chapelle, de Laybach et de Vérone.

Parmi les Mémoires importans qui sont sortis de sa plume, adressés au comte de Cobenzl, au roi de Suède, à Louis XVIII et autres personnages marquans, le plus curieux à relire en ce moment est la relation de son voyage au quartier général du roi de Prusse, du 2 au 17 octobre 4806, publié en 1841, à Stuttgart, par Schlesier, et formant une étude de 120 pages d’un intérêt saisissant.