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essences d’arbres qu’il connaît et d’autres qu’il ignore, des lignes qu’il sait mettre en perspective, et d’autres où il hésite encore et fléchit.

Par exemple, lorsqu’il met une figure en action, tout geste purement impulsif, démonstratif ou sentimental est gauche, incertain, inexpressif. Les vingt-huit prophètes, ou docteurs, qui se tiennent dans les coins de ses compositions, s’ingénient vainement à prendre des attitudes révélatrices. Ils ne savent que faire de leurs mains, et les plus expressifs d’entre eux ne parviennent qu’au geste du montreur de phénomènes, à la porte d’une baraque, et qui invite à entrer. Dieu n’est pas apparu dans le Buisson ardent à Moïse pour le même objet que, dans l’Arbre de la science du bien et du mal, à Eve après sa faute : pourtant ses deux gestes, interchangeables, ont aussi peu de signification l’un que l’autre. La Fille de Jephté, arrivant au Temple, semble prononcer une allocution. De même, les soldats venus pour massacrer les Innocens. Quand l’action est rapide, l’impropriété du geste est flagrante. Jacob et l’Ange n’ont nullement l’air de lutter. David, descendant de sa fenêtre, n’a nullement l’air de fuir. Dans Joachim et Anne chassés du Temple, on ne voit point du tout, par le geste du grand prêtre, qu’il les chasse, ni par les leurs, qu’ils soient chassés. En revanche, les deux mendians qui tendent leur sébile se font admirablement comprendre, et leur geste est très propre à remplir son objet. C’est qu’alors il ne s’agit plus d’une action impulsive ; ou sentimentale, mais d’un mouvement commandé par une nécessité définie, et un mouvement souvent répété, par conséquent facile à observer.

Aussi, tout geste professionnel, qui tend à une opération concrète et définie, sur un objet, tout « geste de métier » est-il très bien rendu. La femme qui puise de l’eau, dans la Nativité de la Vierge, tient son seau exactement comme il faut le tenir pour le remplir à un robinet. Le saint Joseph, qui menuise dans l’Annonciation, lève son maillet et arc-boute son genou comme il faut pour enfoncer son coin dans le bois solidement maintenu. La lavandière, qui lave son linge dans le fossé de la Porte d’Or, tord son linge réellement pour qu’il s’égoutte. Le mendiant, qui tend sa sébile à Joachim chassé du Temple, est certainement un professionnel. A côté de ces gestes, qu’on peut appeler « de métier, » la femme qui fouille le coffre à linge et