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la Mort de la Vierge, on en a la preuve. Il y a, là, les exemples les plus frappans qu’on puisse voir de décoloration du ton local par la lumière. La robe bleue de la Vierge est décolorée en blanc, la robe verte de l’Apôtre, qui tient la croix, est décolorée en jaune d’or ; de même, celle de l’Apôtre qui gravit une marche, à gauche et, tout le long de ces tapisseries, vous verrez les lumières des feuilles vertes exprimées par du jaune d’or. Ce n’est pas du tout, là, une adaptation propre à la tapisserie : la peinture faisait de même. Il y a, aux Uffizi, une salle entière, la salle dite « de Michel-Ange, » où toutes les lumières des plantes sont ainsi tissées d’or : c’est très sensible, par exemple, dans les herbes des premiers plans de Ghirlandajo, en son Adoration des Rois. L’artiste, en composant ses cartons, n’a donc pas pensé tout spécialement au métier de l’interprète : il a pensé à tirer le meilleur parti esthétique de son sujet.

Pour cela, il a enfermé son sujet principal, la Vierge et les saints, dans un cadre d’architecture, gracile et svelte, au milieu de sa composition. Sur le toit, il a donné un siège à Dieu le Père, ou aux anges qui forment une couronne surnaturelle à la société terrestre de Marie. Dans les coins d’en haut, à droite et à gauche, il a logé les deux scènes bibliques imposées par l’inventeur pour « préfigurer » la scène centrale et, au-dessous de ces deux scènes, dans les deux coins d’en bas, il a portraituré, en pied, les deux prophètes qui ont annoncé l’événement. Enfin, entre ces motifs qui lui étaient imposés, il a répandu des figures épisodiques, des feuillages, des bêtes, des plantes, des fleurs à foison : oliviers, chênes, palmiers, faisans, paons, canards, moutons, chiens barbets, chouettes, pigeons, mendians, grues, perroquets, pages, servantes puisant de l’eau, infirmes montrant leurs plaies, singes jouant avec leur chaîne, hérons gobant des reptiles, faucons, pigeons picorant sur les créneaux, lavandières tordant leur linge, bergers emplissant leur gourde dans le fossé, coqs et poules picorant, béliers luttant, écureuils grimpant, œillets, roses, lys, fougères, fraises, potentilles, simples de toutes sortes, et parmi elles, lapins se frottant le museau, faisant leurs cent tours. Tout cela court, vole, s’ébroue, jaillit, grimpe, plane ou foisonne, du haut en bas de la toile, sans se laisser arrêter par le frêle édifice qui encadre le sujet principal, va d’une scène à l’autre, du Nouveau Testament à l’Ancien et de la terre au