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y a, déjà, longtemps, et parfaitement établi dans son ouvrage sur l’Art religieux au XIIIe siècle.

Or, ces guide-ânes sont très impératifs. Ils ne laissent à l’artiste, au point de vue du sujet proprement dit et de sa disposition générale, que fort peu de liberté. On y voit, par exemple, que lorsqu’on représente l’Annonciation, il convient de figurer, à gauche, Eve tentée par le serpent et, à droite, Gédéon recevant la toison des mains de l’ange, plus deux prophètes : David et Isaïe. Quand on figure le Mariage de la Vierge, il ne faut pas oublier les sept premiers maris de Sara enlevés par le diable et ses noces avec Tobie, ni, non plus, le mariage de Rebecca avec Isaac. Une Nativité doit être flanquée d’un Moïse cornu, se déchaussant devant le Buisson ardent et d’un grand prêtre, Aaron, en extase devant le vieux bâton qui fleurit. Une Présentation de la Vierge au Temple ne doit pas contenir seulement la petite fille montant, toute seule, à l’âge de trois ans, les quinze marches extérieures, qui répondent aux quinze psaumes graduels, et conduisant à l’autel des holocaustes et le grand prêtre qui l’accueille ; il faut encore que cette scène, déjà peu compréhensible pour nous, soit préfigurée par deux autres qui ne le sont pas du tout : une belle dame, en grande toilette de brocart et d’hermine, discourt au bas d’un perron avec un grand prêtre et semble l’inviter à descendre : — et c’est la Fille de Jephté et des pêcheurs tirent leurs filets dans un bassin, sous les murs d’un palais Renaissance : — et c’est la pêche de la Table d’or qu’on va porter dans le Temple du soleil…

N’éprouvons pas une confusion trop grande, si nous ne l’avons pas compris, tout d’abord. Le savant archiviste de Reims, auquel on doit le meilleur ouvrage d’ensemble qui ait été fait sur ces tapisseries, M. Loriquet, avait passé sa vie à le regarder sans le comprendre. C’est, peut-être, qu’il n’avait pas lu le Speculum humanae salvationis. Les ouailles de Robert de Lenoncourt l’avaient-elles toutes lu et comprenaient-elles toutes ces énigmes ? Je n’en suis pas sûr. Que l’enseignement par l’Art fût l’intention des patrons de l’Eglise, des chanoines qui commandaient la décoration, et des donateurs, M. Mâle l’a magistralement démontré et je le crois sans peine. Mais que le peuple ait jamais compris ce qu’on lui disait et qu’il l’ait retenu, c’est autre chose. Pour le prouver, on fait avancer, en bon ordre, quelques vers de Villon, toujours les mêmes, et l’on veut qu’ils