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Il y en a une, en effet, et quand on la sait, on tient la clef de tous ces mystères. Pour cela, il faut se rappeler que tout le Moyen âge a été dominé par l’idée de se rattacher au passé. Ce qui avait le plus de chances de durer, pour lui, c’est ce qui avait toujours été ; ce qui était le plus vrai, c’est ce qu’on avait toujours cru. De là, au point de vue religieux, une conséquence notable et qui le sépare fort de nous. Si rien ne nous préoccupe moins, aujourd’hui, que de rattacher le Nouveau Testament à l’Ancien, rien ne préoccupait plus les théologiens du Moyen âge. Que les actes de la vie de Jésus et de la Vierge aient été annoncés par les prophètes et « préfigurés » dans les temps bibliques par des gens à nez crochu et à barbe en pointe, c’est ce dont nul de nous ne s’inquiète. Mais cela inquiétait fort les docteurs à bonnet carré qui discutaient dans les Sorbonnes. Ils attachaient alors aux causes et aux origines du Christianisme tout l’intérêt que nous attachons, nous autres, à ses effets. Lors donc qu’ils commandaient une image de la vie du Christ ou de la Vierge a un artiste, ils lui enjoignaient de montrer, à côté de la scène de l’Évangile, celles de la Bible qui avaient pu y ressembler, vaguement, la faire pressentir, ou, comme on dit, la « préfigurer. » La reine de Saba venant adorer Salomon préfigure les rois Mages aux pieds de l’Enfant Jésus ; le Buisson ardent qui brûle sans se consumer et la toison de Gédéon qui reçoit la rosée sans être mouillée ou qui est couverte de rosée quand l’aire ne l’est point, préfigurent la virginité merveilleuse de Marie. Ce n’est pas pour nous très évident, mais ce l’était pour eux et il suffit. De plus, il fallait faire, auprès de l’événement, le portrait des prophètes qui l’avaient annoncé.

Tout cela plaisait-il beaucoup a l’artiste ? L’histoire ne le dit pas : nous remarquons seulement que, chaque fois qu’il est libre, il se déleste de toute cette érudition apologétique et réduit son œuvre au motif purement humain et pittoresque. Mais, ici, visiblement, il n’était pas libre. Ce Jehan Lemaire, inventor, n’avait pas « inventé » en vain. Il fallait suivre sa dictée, laquelle n’était pas, elle-même, toujours très originale, car pour huit des scènes de la Vie et. Mort de la Vierge, il parait bien qu’il n’a fait que suivre les prescriptions de deux manuels d’iconographie chrétienne, illustrés, gravés sur bois, très connus au XVe siècle : la Bible des pauvres et le Spéculum humanae salvationis,. C’est M. Emile Mâle qui l’a découvert, il