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venir, les tapisseries tissées il y a quatre et cinq cents ans, pour embellir le chœur de la cathédrale de Reims. A l’approche des Barbares, il y a quelques mois, elles ont été enlevées et mises en lieu sûr. Le bombardement, qui a fait un petit tas de poussière de la Reine de Saba, de l’Ange compagnon du saint Nicaise et de tant d’autres figures du portail, ne les a pas touchées. Car c’est parfois ce qui est le plus fragile qui est le moins éphémère. Et les voici, maintenant, au Petit-Palais, dans la pleine lumière des Champs-Elysées, entourées des feuilles vivantes des marronniers, visibles à travers les hautes baies de cristal, au milieu de toutes les activités d’un peuple moderne. On ne les avait jamais si bien vues. Beaucoup de leurs figures, soupçonnées plutôt qu’aperçues, ne livraient leurs secrets qu’a de patiens archéologues. C’étaient des fantômes de chefs-d’œuvre. Et, en plusieurs endroits, leurs couleurs éteintes, leurs lignes tremblantes, leurs laborieux et malchanceux rapiéçages en font encore des énigmes. Mais leur charme voilé s’accorde admirablement à nos sentimens et à nos méditations présentes. Leurs couleurs ne crient pas : elles psalmodient à peine. Ce qu’elles murmurent, ce sont de bien vieilles histoires qui enchantèrent l’humanité autrefois et qui, aujourd’hui peut-être encore, peuvent distraire l’âme française de ses douleurs, sans cependant troubler son recueillement. Profitons donc de leur présence, pour les interroger, et, s’il nous est possible, pour les comprendre. Jusqu’au jour où, revenues à leur berceau et à leur destination première, elles se tendront pour un défilé triomphal, comme les défilés pour quoi elles furent faites, il y a cinq cents ans.


I

Il y a, au Petit-Palais, trois suites, ou fragmens de suites, de tapisseries très diverses : l’une du XVe siècle, l’autre du XVIe, la troisième du XVIIe, et destinées, semble-t-il, au même rôle décoratif. La première, qui ne comprend que deux pièces sur six, énormes à la vérité, est l’histoire du « fort roy Clovis, » tissée vers 1435 ; la seconde, qui comprend quatorze pièces sur dix-sept, est l’histoire de la vie et de la mort de la Vierge, imaginée par un certain Lemaire, commencée en 1509, terminée en 1530 et offerte par l’archevêque de Reims, Robert de