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d’ailleurs pour les monter le personnel indispensable, après les sacrifices consentis en faveur de l’armée ? Je laisse de côté pour le moment cette délicate question.

Revenons aux faits. Pas plus que la Lusitania sur la côte Sud de l’Irlande, le Léon-Gambetta n’était, dans le canal d’Otrante, « couvert » par des unités légères. Eût-il été possible, en l’état présent des choses, de lui attribuer même un seul contre-torpilleur ? Je l’ignore. Je crois que oui, toutefois, mais je reconnais que la couverture, en ce cas, eût été bien faible. Pourtant, une sorte d’effet moral eût été produit sur le sous-marin autrichien. Celui-ci n’eût point eu toutes ses aises pour combiner son attaque et un hasard heureux pouvait conduire notre flanqueur tout près du sournois assaillant au moment décisif. En tout cas, si la catastrophe n’avait été conjurée, les suites n’en auraient point été aussi déplorables, en ce qui touche la perte de vies humaines. A la vérité, on peut dire que le commandant du U5 n’aurait pas hésité à torpiller le petit bâtiment occupé au sauvetage de quelques naufragés. On sait même aujourd’hui que cet officier a eu le triste courage de rester immobile, toute la nuit, au milieu des malheureux cramponnés aux épaves, tandis qu’il attendait l’arrivée des croiseurs des secteurs voisins, pensant que le Léon-Gambetta avait dû les appeler par la T. S. F. — Si le coup terrible qui a frappé la marine anglaise, le 22 septembre, n’a pu être renouvelé contre la nôtre, on le doit seulement peut-être au fait que l’explosion de la première torpille avait intéressé le compartiment de l’usine électrique et rendu ainsi impossible l’émission des signaux. Il est permis d’espérer que des ordres précis, soit du département, soit du commandant en chef, fixent d’une manière impérative, dans ce cas, le parti cruel qu’il faut prendre et que ne prendraient certainement pas, si la discipline ne les y contraignait, des camarades, des frères d’armes.

Notons, pour clore ce pénible sujet, qu’en tout état de cause, de simples torpilleurs, calant très peu d’eau et présentant aux torpilles une cible très mobile et de peu d’étendue, auraient les plus grandes chances d’échapper aux coups du sous-marin, à qui l’un d’eux donnerait vivement la chasse tandis que l’autre, — ou les autres, — s’occuperait du sauvetage.

Le cas du cuirassé anglais Goliath, coulé le 13 mai, pendant une violente attaque de nuit contre les ouvrages des