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chose inouïe pour qui connaissait le vieux Japon, — des conspirateurs furent pendus pour avoir formé le projet d’assassiner le divin Mikado, le glorieux Moutsouhito, qui plaça son peuple si haut. Et, il y a quelques mois, le fils de ce grand souverain fut obligé de dissoudre la Diète, parce que les députés s’opposaient à ses projets militaires.

Néanmoins, encore maintenant, l’esprit démocratique, l’habitude de la critique que donne la pratique des sciences positives introduite au Japon, n’ont pas encore accompli complètement leur œuvre habituelle, et cet empire est toujours sous l’influence directrice de l’esprit féodal et guerrier dont il a conservé de puissantes survivances.


Pour poser un pied solide sur le continent, pour posséder la Corée, il fallait vaincre la Chine. Cette tâche fut accomplie par la guerre de 1894-1895. Les illusions du vieil empire sur ce qui lui restait de puissance durent s’envoler devant l’évidence des faits. Le Japon remporta une facile victoire et le gouvernement chinois dut se courber sous les fourches caudines du vainqueur. Celui-ci était exigeant ; il demanda et il obtint par le traité de Shimonoséki, qui termina la guerre, la grande île de Formose située en face de la province chinoise du Foukien, l’indépendance de la Corée où ne restait désormais qu’un roi débile, sans volonté, et un peuple faible comme un enfant ; enfin, la presqu’île du Liaotong, dans la Mandchourie méridionale ; là, se trouvait Liukountcheou, aujourd’hui Port-Arthur, admirablement situé à l’entrée du golfe de Petchéli par lequel on accède à l’embouchure du Peiho, le fleuve qui mène près de Pékin. Là, les Chinois avaient commencé à créer un grand port militaire abrité par les collines qui défendent si bien la rade contre une attaque venue du large. Ce point d’appui maritime admirable tombait donc dans les mains japonaises.

Mais les Puissances prirent ombrage de la situation nouvelle. France, Allemagne et Russie, unies en cela, obligèrent le vainqueur à renoncer au fruit de ses efforts. Le Japon garda Formose, la grande île, dont une partie est habitée par des peuplades sauvages et insoumises, mais il dut abandonner la presqu’île du Liaotong, avec Port-Arthur aux mains des Russes. Ce ne fut pas sans regret ni ressentiment que le peuple japonais