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l’atmosphère d’une gare traversée à toute vapeur, ces bruits qui semblent effleurer le crâne blotti entre les épaules. Imaginez le cataclysme des maisons éclatant avec l’explosion intérieure. Ici le sol est brusquement pourfendu. Là des terres rejaillissent dans le geyser de fumée noire, poussent au ciel le gros nuage jaunâtre qui se dissipera, avant de laisser apercevoir l’horreur des hommes dépecés, amputés, décapités, manchots, mais encore palpitans pour une seconde, et qui hurlent. Comment ne pas adorer la puissance de l’idée créatrice capable de maintenir, calme, au milieu de telles catastrophes, un contemporain averti, sceptique et sans colère, humain à l’excès, ironiste là même ? L’étonnant miracle ! Officier de réserve, par hasard, M. Quinton a, de sa bibliothèque, sauté sur un cheval, trotté par les routes et les flaques, parmi ses caissons, ses attelages, ses cavaliers, ses pièces. Il s’est hissé dans cette tour, afin de calculer des angles, de les reporter sur la planchette, de téléphoner les nombres exacts ; malgré cette terreur de Jugement Dernier ; malgré les tonnerres et les avalanches des bâtisses précipitées à terre. « Pourrai-je faire autre chose à l’avenir ? » écrit-il.

Du ciel une masse d’acier tomba, enfonça cette mansarde. Renversé par l’explosif, le pignon s’abattit en avant sur le trottoir d’en face, et il a découvert deux paliers d’appartemens bien garnis de rideaux, de fauteuils, de tables, de gravures en leurs cadres ; le décor d’une vie sage. A la recherche de leur confort disparu les chats rôdent. Plaintifs, ils miaulent. On a déblayé les voies nécessaires au passage des soldats. Les autres demeurent telles, sauf quelques-unes épargnées au hasard.

Sur la place les éclats ont criblé toutes les façades. Figures balafrées que rien ne cicatrisera. Le revêtement des murs écaillé tombe par larges plaques ; il se divise en mille morceaux qui recouvrent les trottoirs. Deux cratères s’ouvrent au bord de l’esplanade, côte à côté. Les 305 ont provoqué cette convulsion géologique. Vingt hommes se tiendraient à l’aise dans les excavations. L’eau des pluies ou des conduites cassées y formèrent des étangs. A considérer ces énormes cuves, on s’explique aisément qu’un seul envoi des batteries allemandes ou des nôtres tue huit soldats, en blesse dix-sept, comme il advint parfois.

La poésie romantique n’aura rien décrit de plus suggestif, pour les lamentations sur la fragilité, sur la brièveté des œuvres