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Quelque temps, le veuf nous a suivis, l’âme absente, à travers la ville sans âmes.

Il semble que, dirigés par un tir constamment égal sur tous les points, les obus n’aient guère démoli que les toitures et les intérieurs, laissant les façades intégrales. Elles masquent les ravages des appartemens. Ainsi qu’autrefois, elles sont avenantes, ces maisons pointues dans leurs atours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Sur la Grand’Place, elles évoquent, l’une près de l’autre, des époques diverses et leurs mœurs. Le beffroi rouge, derrière, n’a point souffert, ni, devant, le corps de garde espagnol, ni sa grosse tour, ni la Châtellenie. L’oiseau d’or brille toujours sur le vieux pignon voisin de l’Hôtel de Ville et de son perron à fines colonnettes sculptées par Lukacs, selon l’art de la Renaissance flamande. Toutefois, une explosion interne a tuméfié le lacis de plomb enchâssant les vitraux ; desquels un se rompit. Après quoi, la cour du roi Albert, qui séjournait là, dut se retirer vers la mer. Dans la rue prochaine, l’hôtel de la Noble-Rose, frappé d’abord, le 1er novembre, montre ses étages détruits, éboulés. Ailleurs, un mur criblé, un tas de moellons, des bandes de papier collées en croix sur les vitres pour contenir les morceaux que briserait une explosion, des sacs de terre empilés devant les soupiraux des caves, par peur de l’obus intrus, attestent les périls encourus et qui chassèrent les habitans. Quelques-uns, très rares, persistent à jouir de jardins proprets, de maisonnettes basses et nettes, en quelques endroits à l’écart, au fond de la cité sans vie. Ces braves y font l’impression de revenans. Craintifs, ils se hâtent de saluer l’escadron qui passe, sans trompettes, sur le pont de l’Yser, puis l’automobile poudreux de l’ambulance anglaise, enfin la patrouille de fantassins las et boueux. Ailleurs, la gare, les bâtimens annexes furent entamés. Même un gros projectile saccagea le poste de la Croix-Rouge française en sa maison de briques, y massacrant quatre brancardiers militaires, y écornant une voiture. Le comte de Beaumontet les autres Croix-Rouges visitaient, par chance, les avant-postes, pour l’enlèvement des blessés.

L’automobile court sur une route droite, survolé, repéré par les avions des deux partis. Il longe les inondations défensives. A gauche, dans les champs, sont prêtes les tranchées de repli à redans, derrière leurs fils en fer tendus de piquet à piquet. Les soldats belges et anglais, joyeusement cantonnent