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Devant son roi, symbole de ses idées loyales, passe la force reconstituée du peuple belge, les héros de Liège et de l’Yser, les conscrits pleins d’ardeur, les vétérans des expéditions africaines. Robustes, bien musclés, sûrs de leur vigueur, de leur discipline, ils avancent en lignes étendues et fermes, malgré la furie du vent, malgré la mollesse du sable. Voici les bataillons qui, de semaine en semaine, repoussent l’Allemand sur les dunes de Lombaertzyde ; et par-delà. Ils l’expulsent de ses trous noyés. Ils le mitraillent dans ses gîtes marécageux. Ils l’ensevelissent égorgé par les baïonnettes, déchiqueté par les obus, dans les boues de l’Yser, dans les flaques pleines de cadavres pourrissans, dans les décombres des villages que sa furie voulut anéantir. C’est une force neuve, encadrée de vieilles troupes que dix mois de la plus terrible campagne ont aguerries à l’extrême.

Sur cette plage étroite que dévore un assaut tumultueux des vagues, l’armée défile, masse hérissée contre le gris pesant du ciel, contre les courses bondissantes des eaux. Injurieuse et active, la mer monte. Elle mange, de ses flots incurves et de ses cascades surgies, abattues, la plage resserrée entre le flux et les dunes. Il semble que, complice des Barbares, elle veuille réduire encore le territoire envahi par les crimes des Teutons. Elle mouille les pas des flanqueurs. Elle crache son écume à la face des sergens. Elle rejaillit aux flancs des chevaux. Elle oblige les compagnies à diviser leurs fronts, à dédoubler leurs faces, à marcher par sections, sous les yeux du roi, de la reine, du jeune duc, qui voient se rétrécir ainsi leur royaume, de minute en minute, à mesure que la puissance de leur armée s’affirme plus nombreuse et plus dense.


III

A Furnes, dans le silence de la ville abandonnée, un soldat marche solitaire et lent. C’est un jeune athlète en large capote brune, en pantalon gris-bleu à liséré rouge, en houseaux. Sous le béret de drap, sa figure colorée se crispe entre les cheveux d’or. Parfois il grimace douloureusement. Il soupire. Il invoque son dieu. Il nous aborde et nous prie de photographier la maison qu’il désigne. Un obus, dit-il, la perça du grenier à la cave pour y faire explosion, pour y déchirer les malheureux tapis là,