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l’honneur ? Les Serbes luttent pour la vie, les Russes pour la gloire des Slaves, l’Angleterre pour la prospérité de ses peuples industrieux, la France pour ses idées libératrices. Les Belges luttent pour l’honneur, uniquement. Pour l’honneur, auquel a tout sacrifié son prince blond et calme, si pareil aux étudians de Louvain, et qui, soigneusement, achève, là, son examen de conscience parmi ses héros fiers de leur devoir rempli, fiers de leur âme prête à tout accomplir encore de ce qu’attend le siècle anxieux.

La Reine penchée, en modeste jaquette, vers son livre d’heures, peut bien songer, du reste, qu’en 1808, une autre souveraine, Louise de Prusse, se réfugia dans les sables aussi, ceux de Memel-la-Baltique, après les défaites d’Iéna, d’Eylau et de Friedland, après la perte de son royaume, qu’elle y pleura des larmes sanglantes au fond du moulin lui servant d’asile, qu’elle entendit Napoléon la désespérer au festin offert par le tsar Alexandre. Et voici que les descendans de cette Louise règnent sur l’empire des Allemagnes, et qu’ils y eussent régné toujours, sans la démence de leur orgueil, sans la férocité de leur tyrannie, sans l’iniquité de leur agression contre les peuples pacifiques, enfin alliés, certains de vaincre tout à l’heure. Cet écolier pâlot, en son cache-nez de laine grise, et qui demain revêtira la capote du fantassin belge, pourquoi ne saurait-il pas un jour la chance d’un Guillaume Ier à Sadowa, pourquoi ne remplacerait-il pas, en Europe, par sa justice, la folie cruelle des Hohenzollern et de leurs Barbares ? La Belgique de 1915 semble autrement glorieuse que la Prusse de 1808. Les alliés puissans qui manquaient à celle-ci ne manquent point à celle-là.

Ainsi parle un volontaire, en uniforme d’azur, sur le seuil de l’église, parmi ses camarades attentifs. Sortis derrière la famille royale, ils la regardent maintenant gravir la pente de la dune, et bientôt s’abriter dans la simple maison contre la tempête qui bouleverse les espaces d’eaux glauques et de nuées grises, qui chasse les écumes de la mer, et chavire les oiseaux criards.

Emmitouflés dans leur habit bleu d’horizon, les conscrits nouveaux de l’armée belge retournent à la ville. Ils ne doutent point que leur prière ne soit exaucée. Les conversations s’animent. Les plaisanteries s’échangent. Les rires de Jordaens éclatent. L’entrain est constant, la jovialité sans lassitude. Tous